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De nouveau privé de son public pour au moins un mois, l'Opéra national de Bordeaux (ONB) a décidé de se déplacer dans le salon des amateurs d'opéra en enregistrant à huis clos, sur CD, l'intégral d'un opéra déprogrammé pour cause de crise sanitaire.
Quand le disque sortira à l'automne prochain, les fans privés ce mois-ci de "Pelléas et Mélisande" pourront s'y plonger dans le confort de leur canapé, à défaut d'avoir pu s’asseoir cette semaine dans l'Auditorium de Bordeaux, qui devait servir de cadre à cette histoire d'amour inspirée du mythe de Tristan et Yseult et adaptée en opéra par Claude Debussy en 1902.
"C'est frustrant de ne pas avoir accès au live avec le public. On travaille pour ça, nous les artistes, pour cet échange, c'est notre récompense", explique à l'AFP Stanislas de Barbeyrac, le ténor qui interprète Pelléas, avant de monter sur scène en jean et en tee-shirt mais concentré à l'extrême.
"Mais c'est un bon compromis de pouvoir répéter et de quand même créer des choses, même sans public, de pouvoir pallier ce manque d’art vivant et d’interaction, en proposant un disque", poursuit-il. "C'est important que les gens sachent que le milieu de la culture veut travailler."
Sur scène, précautions sanitaires obligent, chaque musicien dispose d'un spray désinfectant et d'un chiffon. Les joueurs d'instruments à vent -sans masque- sont distanciés au maximum mais les cordes doivent faire avec.
Les chanteurs, tous testés au Covid-19, gardent leurs distances. Le chef Pierre Dumoussaud dirige, masqué, sa soixantaine de musiciens, seulement interrompu ça et là par la voix du responsable de la captation sonore, effectuée par le label Alpha Classics, avec des dizaines de longs micros installés un peu partout, face à la grande salle vide.
- "Jouer collectif" -
"Il faut continuer, il faut se battre", témoigne la volubile soprano Chiara Skerath, qui interprète Mélisande en robe noire et baskets. "Beaucoup de gens m’écrivent que ça leur manque d’aller au théâtre, d'aller à l’opéra, parce que ce sont des moments où on peut tout oublier. La lumière s'éteint et on est dans un autre monde..."
Pour Stanislas de Barbeyrac, la France est un pays "où le monde de la culture peut s'adapter, se réinventer". "J'ai plein de copains chanteurs étrangers qui souffrent bien plus que moi en ce moment, parce que tout est fermé, qu'ils ne répètent pas, qu'ils n'ont pas d’aide..."
Un filet de sécurité maintenu par les pouvoirs publics, Etat et collectivités locales, souligne Olivier Lombardie, administrateur général de l'ONB. "Chez nous, ce sont 180 artistes permanents qui continuent à être payés, sans chômage partiel" alors que la saison 2019-2020 a été largement amputée par le premier confinement (81 représentations annulées).
Même si les captations discographiques d'opéra sont de plus en plus rares, l'ONB a imaginé la sienne comme une "opération de rebond face au confinement" qui permet aussi "aux artistes de ne pas perdre le fruit de leur travail".
Une idée que M. Lombardie explique plus prosaïquement dans une métaphore sportive : "Nos 180 artistes sont des sportifs de haut niveau qui doivent jouer collectif. Quand ce virus va disparaître, on ne voudrait pas se retrouver dans la situation du PSG à perdre nos matches de Ligues des champions. On veut être au top quand le public va revenir."