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Joy, enceinte de sept mois, dort au pied des bureaux, sur un matelas au sol à l'accueil du squat Saint-Just à Marseille. "On n'a plus de place mais on n'a pas pu lui refuser l'entrée, elle dormait dehors", explique une bénévole.
Depuis près de dix mois, cet ancien couvent accueille des migrants arrivés dans la deuxième ville de France souvent après un périple traumatisant par la Libye. Beaucoup viennent du Liberia, de Guinée ou du Nigeria, comme Joy.
Le squat est devenu une référence à Marseille, et "ça déborde", constate Mani Timricht, un des "solidaires", ces dizaines de bénévoles aidant les nouveaux arrivants.
Selon le collectif 59 Saint-Just, plus de 320 migrants sont aujourd'hui hébergés ici. La moitié sont des mineurs non accompagnés (MNA) et devraient être pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE) du département. On compte aussi une quarantaine de familles.
Le Conseil départemental, qui dit "faire face au nombre toujours plus important d’arrivées de jeunes", assure que "certains sont déjà pris en charge et continuent de fréquenter le lieu".
"Les arrivants à Marseille sont guidés ici par d'autres migrants, mais aussi par les associations et même par la police", explique Mani, qui doit refuser des familles.
La salle à manger et la salle de jeux aménagées neuf mois plus tôt sont aujourd'hui remplies de matelas.
"Toutes les pièces servent de dortoir, on n'a même plus de chaises car les gens dorment dessus", déplore Mani toutefois "stupéfait de la solidarité des Marseillais" qui multiplient les dons.
Pour les migrants, "la promiscuité, avec leurs fragments de vie traumatique, est porteuse de mal-être et de conflits", raconte Anna, une psychologue préférant taire son nom.
"On dort à six par chambre, parfois ça se bagarre, il y a des cafards et des punaises de lit", raconte Aboubacar, 16 ans.
Emmaüs livre de la nourriture deux fois par semaine, "mais on ne mange pas toujours à notre faim", glisse ce Guinéen qui dit avoir subi des sévices en Libye.
"J'ai pas traversé tout ça pour finir ici, je veux étudier, et on m'en empêche", lâche-t-il. L'absence d'adresse officielle l'empêche d'être scolarisé.
- "Otage" -
Au début de l'occupation, le diocèse, propriétaire des lieux, tolérait la présence des squatteurs. Il avait rouvert l'eau et l'électricité. La situation a basculé en avril, quand tous les MNA ont été "mis à l'abri" par l'ASE.
"Ce squat aurait alors dû fermer", juge le Conseil départemental, joint par l'AFP. "Mais des familles migrantes sont restées et le squat s’est reconstitué".
Le collectif 59 Saint-Just a jugé insuffisantes les propositions de la préfecture faites aux familles: quelques nuits d'hôtel.
"C'est le tonneau des Danaïdes", commente l'avocate du diocèse, Me Tapin-Reboul. "On est pris en otage car le diocèse est sensible à la détresse de ces gens mais ce squat lui a déjà coûté 100.000 euros en électricité, eau...".
En mai, le diocèse a demandé l'expulsion et coupé l'eau chaude.
Une décision de justice prévoit l'expulsion des familles en janvier 2020, le sort des mineurs doit être tranché en octobre. Un "sursis" pour les squatteurs, mais qui inquiète le collectif: "plus de monde arrivera en hiver, on espère qu'on aura le chauffage", souffle Mani.
Fin août, 1.025 MNA étaient pris en charge par le département des Bouches-du-Rhône (contre 857 en 2018), représentant un quart des mineurs confiés à l’ASE. Le Conseil départemental indique que 235 places ont été créées en 2019 et en promet 160 nouvelles d’ici la fin de l’année.
Cet été, le Conseil départemental, assigné par un jeune mineur de Saint-Just, avait soutenu que dans cet "établissement" (le squat), le migrant "bénéficie d'un accueil raisonnable, avec nourriture, vêtements et d'un accompagnement éducatif par des bénévoles". Une position revenant "à encourager la pratique du squat", dénonce le diocèse.
"Depuis 2013, le taux de prise en charge par l’ASE de mineurs non accompagnés a diminué de manière constante" en France, a dénoncé Médecins sans frontières dans un récent rapport.