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Le défilé de Mohammed Ashi, premier Saoudien à intégrer la semaine de la haute couture parisienne, marque une nouvelle étape de l'offensive de ce pays, qui investit des sommes colossales dans la culture et le sport.
Il a déjà habillé la reine Rania de Jordanie, Penelope Cruz, Diane Kruger et Lady Gaga, mais ce défilé jeudi, au Théâtre du Châtelet, est "le sommet de ma carrière", a confié le créateur à l'AFP.
Modeste et sans prétention, il a rarement mis en avant sa nationalité.
Ses créations défient certainement le code vestimentaire saoudien avec beaucoup de transparence et découpes révélant les seins et les jambes.
"Je suis citoyen du monde, mais j'ai toujours été fier d'ête Saoudien", a déclaré le couturier en coulisse à la presse après le défilé.
Des plumes et de longues traines étaient incorporées à ses looks graphiques et sculpturaux, à la ligne pure, principalement en blanc et noir.
La collection est sur "une histoire d'amour sombre. Il s'agit d'extraire la beauté du plus profond de soi et de la rendre visible", a-t-il souligné.
Ashi a tracé sa propre voie, après avoir quitté le royaume il y a 30 ans, mais sa promotion coïncide avec l'annonce par Riyad de sa propre Fashion week en octobre.
Basé à Paris, le couturier a été accueilli à nouveau pour encadrer de jeunes créateurs dans le cadre de plans visant à développer sa propre industrie de la mode.
Fin juin, de jeunes créateurs saoudiens avaient déjà été mis en lumière lors de la Fashion week homme à Paris avec leurs collections de streetwear.
La mode n'est qu'un volet d'une stratégie qui a vu le prince héritier Mohammed ben Salmane investir l'argent du pétrole dans le cinéma, les jeux vidéo, le football et le tourisme.
Ces changements, vus comme un écran de fumée pour désamorcer les critiques sur son bilan en matière de droits humains, en particulier après le meurtre du journaliste dissident Jamal Khashoggi en 2018, sont toutefois allés plus loin qu'anticipé.
"Les deux premières années, je ne croyais pas que c'était réel. Mais, ensuite, je me suis rendu compte que c'était vrai", a raconté à l'AFP Yousef Akbar, 37 ans, qui a lancé sa marque de mode éponyme en Australie en 2017 et a habillé Nicole Kidman et Rita Ora.
- Thématiques LGBT -
"Je pensais que j'allais passer tout ma vie en Australie puisque je suis un créateur de mode", a-t-il ajouté, alors qu'il dirige désormais également son entreprise depuis Djeddah.
La Commission saoudienne de la mode revendique ces nouvelles libertés autour des tenues vestimentaires publiques et anticipe que les ventes au détail du secteur vont croître de 48% dans le pays entre 2021 et 2025, pour atteindre 32 milliards de dollars.
L'organisme, qui souhaite qu'une bonne partie de cet argent reste en Arabie saoudite, a créé un programme de 100 marques pour soutenir les designers du royaume. Son patron, Burak Cakmak, assure qu'il y a des fondations solides pour une industrie de la mode locale.
"Ce n'est pas parce que le pays ne l'a pas montrée (avant) au reste du monde qu'elle ne commence que maintenant", a-t-il fait valoir à l'AFP, soulignant avoir assisté cette semaine à un événement d'une marque créée dans les années 1970.
"Il y a un vivier de talents en Arabie saoudite qui n'a pas pu s'exprimer comme il voulait pendant longtemps", a pour sa part relevé le couturier français Stéphane Rolland.
Le royaume se trouve cependant face à un écueil, avec une industrie de la mode où les thématiques LGBTQIA+ sont présentes et de nombreux stylistes revendiquent leur homosexualité, alors que le pays continue à considérer illégales les relations entre les personnes de même sexe.
Les autorités "en sont certainement conscientes", selon la journaliste Susanne Koelbl, autrice du livre sur l'Arabie saoudite "Behind the Kingdom's Veil" ("Derrière le voile du royaume"). Leur approche consiste simplement à "essayer de l'ignorer".