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Au Brésil, un projet de loi hérisse les "Big Tech"

Fustigé par les géants de la technologie, qui parlent de "censure" ou de "conséquences indésirables" pour internet, un projet de loi sur la régulation des réseaux sociaux pour combattre la désinformation fait polémique au Brésil.

En quoi consiste le PL 2.630, et pourquoi est-il aussi controversé?

- Comment les plateformes sont régulées au Brésil?

Actuellement, la modération des contenus suit le règlement interne publié par chaque plateforme dans ses conditions d'utilisation.

D'après le Code civil d'internet, une loi brésilienne qui régit l'utilisation du web depuis 2014, les entreprises ne sont pas responsables pénalement des contenus publiés par leurs usagers.

À une exception près: si elles se refusent à retirer des contenus après un ordre judiciaire, ou à la suite d'une plainte d'une victime de diffusion de photos dénudées sans consentement.

- Quelle est la genèse de ce projet de loi?

Le PL 2.630 a été présenté en 2020 au Sénat, pour faire face à l'avalanche de fausses informations sur internet.

Il s'inspire de la loi sur les services numériques (DSA) en vigueur dans l'Union européenne, qui impose une longue liste de règles aux réseaux sociaux et moteurs de recherche.

Le débat parlementaire au Brésil a été relancé après les émeutes du 8 janvier, quand des partisans de l'ex-président d'extrême droite Jair Bolsonaro ont saccagé les lieux de pouvoir à Brasilia.

Les émeutiers refusaient d'accepter l'élection en octobre de Luiz Inacio Lula da Silva face à M. Bolsonaro, faisant état de fraudes en relayant des allégations sans preuve circulant sur les réseaux.

La régulation des plateformes numériques est également revenue au premier plan de l'actualité après des attaques récentes dans des écoles qui ont ravivé le débat sur le contrôle des contenus pouvant pousser des internautes à passer à l'acte.

Le gouvernement de gauche de Lula est favorable à ce projet de loi, tout comme certains mouvements associatifs.

Mais il est rejeté non seulement par les géants de la technologie, mais aussi par les bolsonaristes.

Le texte a été approuvé au Sénat en juin 2020, mais le vote en séance plénière à la Chambre des députés, prévu en début de semaine dernière, a été reporté sine die.

- En quoi consiste ce projet de loi?

La version la plus récente du texte, amendé à plusieurs reprises par les députés, est surtout focalisée sur la modération des contenus et la responsabilisation des plateformes.

Elles sont ainsi contraintes de faire preuve de plus de transparence, et de combattre activement la diffusion de certains contenus illégaux.

Il s'agit de filtrer notamment les publications évoquant des attaques contre la démocratie et les élections, des atteintes à la santé publique, des contenus pédophiles, racistes, ou des incitations au terrorisme, au suicide, à l'automutilation ou aux violences contre les femmes.

Si le projet de loi est approuvé en l'état, ces règles s'appliqueront aux plateformes qui comptent plus de 10 millions d'usagers au Brésil.

Les plateformes "ne seront pas obligées de modérer tous ces contenus, mais elles devront montrer qu'elles font les efforts nécessaires pour les retirer de la circulation", explique à l'AFP Pablo Ortellado, professeur de gestion des politiques publiques à l'Université de Sao Paulo (USP).

Il leur faudra par exemple publier des rapports semestriels "décrivant les mesures prises pour combattre la dissémination de contenus illégaux et énumérant ceux qui ont été supprimés".

Les sanctions prévues vont du simple avertissement à la suspension temporaire, et des amendes pouvant aller jusqu'à 10% de leur chiffre d'affaires.

- Quels sont les arguments des plateformes?

Telegram a envoyé cette semaine à tous ses usagers au Brésil un message qui affirme que le PL 2.630 "permet au gouvernement de limiter ce qui peut être dit en ligne".

Google a pour sa part évoqué la semaine dernière "une série de menaces à la liberté d'expression" en raison d'une "modération excessive" des plateformes.

- Comment seront effectués les contrôles? -

Les détracteurs du projet de loi ont longtemps évoqué le risque de la création d'un "ministère de la Vérité", comme dans le roman "1984", de George Orwell.

"En raison de ces controverses, la création d'une agence régulatrice ne fait plus partie de la dernière version du texte, et c'est dangereux", estime Pablo Ortellado, pour qui il serait important de définir dans la loi des règles strictes sur l'indépendance d'un tel organe.

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