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En Cisjordanie, ces "minutes en or" perdues pour accéder aux soins

Yamen Mohammed Husseti, 16 ans, a été touché par balle à l'abdomen. Le jeune palestinien est mort de ses blessures, seul, sur le bitume d'une des ruelles pentues du village d'Arraba un soir d'opération militaire israélienne, dans le nord de la Cisjordanie occupée.

Le lendemain, l'adolescent a été enterré sous la pluie, le visage imberbe coiffé d'un keffieh rouge, pleuré par des copains et témoins qui assurent que les soldats ont entravé l'arrivée de l'ambulance.

Leurs M16 pointés sur eux, "ils ont entouré le corps pendant une demi-heure. Yamen criait (...), j'étais impuissant", témoigne à l'AFP un habitant, Saïd Al-Ardah, depuis la morgue.

Anwar Arttaya conduisait l'ambulance et affirme que chacune de ses tentatives pour l'approcher a été bloquée par des tirs. Les soldats ont riposté à des "explosifs" lancés par "un terroriste", explique l'armée à l'AFP, précisant "ne pas avoir connaissance de tirs sur des ambulances".

En Cisjordanie occupée, les raids israéliens se sont intensifiés depuis le 7 octobre, avec leur lot de barrages, fouilles et routes labourées.

- "Série d'horreurs" -

La guerre a éclaté ce jour-là, après les attaques sanglantes menées par le Hamas sur le sol israélien depuis la bande de Gaza. Elles ont entraîné la mort de 1.140 personnes, majoritairement des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des données israéliennes.

Entre le 7 octobre et le 19 janvier, le Croissant-Rouge palestinien a signalé à lui seul 154 incidents contre ses équipes impliquant les forces israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

"Ma vie d'auxiliaire médical a été marquée par une peur extrême des soldats israéliens. Tout ce qui est gravé dans ma mémoire, c'est une série d'horreurs", commente Anwar Arttaya.

Les restrictions de mouvement ont empiré et l'accès aux soins s'est détérioré. Il souffrait déjà gravement de la faiblesse de l'économie et des obstacles liés à l'occupation israélienne et au morcellement du territoire.

Sollicitée par l'AFP, l'armée argue que "des terroristes se cachent" dans les ambulances ou à proximité des hôpitaux et qu'elle est "obligée" d'inspecter les ambulances "tout en essayant de minimiser les retards autant que possible".

Mais ces opérations font perdre "des minutes en or", déplore le secouriste Abderraouf Mustapha.

- Système sous tension -

Mi-décembre, Ahmad 13 ans, souffrant de déficience immunitaire, se réveille avec une douleur au ventre. Au même moment, une opération militaire israélienne vise le camp de réfugiés de Jénine, l'un des foyers historiques de la résistance armée palestinienne.

Lorsque Ahmad a dit "+je ne peux plus bouger, j'ai du mal à respirer+, je ne savais pas quoi faire, il n'y avait pas d’hôpital" autre que Jénine à proximité de leur village d'Al-Yamun, raconte son père, Mohammed Asaad Sammar. "Où aller"?

"Je lui ai dit d'attendre que (les soldats) partent", raconte ce technicien en télécommunications de 56 ans, dans un récit entrecoupé de silences et de larmes.

Mais le raid a duré des heures et l'état de son fils s'est détérioré au point de devoir prendre la route vers l'hôpital.

Le trajet prendra 25 minutes contre 7 habituellement. Face à l'encombrement d'ambulances devant l'hôpital, toutes contrôlées par l'armée, il finit à pied. Des images de médias le montrent marchant vers un véhicule blindé stationné à l'entrée de l'hôpital, portant son fils inerte à bout de bras.

Les médecins ne pourront sauver l'enfant.

"Perdre votre fils parce que vous ne parvenez pas à l'amener à l’hôpital... C'est une injustice. Ce à quoi nous sommes confrontés ici n’est rien de moins que ce qui se passe à Gaza. Ils tuent les gens de sang froid", parvient à articuler M. Sammar.

Dans la bande de Gaza, 26.422 Palestiniens, en grande majorité des femmes, enfants et adolescents, ont été tués depuis le début de la guerre, selon le ministère de la Santé du Hamas.

Et en Cisjordanie, plus de 370 personnes ont été tuées par les forces israéliennes, et des centaines blessées, selon le ministère palestinien de la Santé à Ramallah.

Les opérations israéliennes affectent aussi les patients qui souffrent de maladies chroniques, souligne Wissam Baker, directeur de l'hôpital gouvernemental de Jénine. Certains "n'ont pas pu venir parce qu'il y avait des véhicules militaires ou des combats". D'autres ne peuvent s'offrir les frais de transport.

Partout en Cisjordanie, le système est sous tension.

Médecins sans Frontières a augmenté la capacité de ses cliniques mobiles dans le gouvernorat d'Hébron (sud) pour "combler les lacunes de la couverture du ministère de la Santé" dues aux restrictions d'accès imposées au personnel.

Des centres de premier secours "décentralisés" se mettent aussi en place, explique Samuel Johann, employé de MSF qui dénonce une situation "inacceptable" et que "rien ne justifie".

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