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Au terme d'un trajet périlleux, ils ont atteint Metema, en Ethiopie. Mais chez les Soudanais et étrangers fuyant le Soudan, le soulagement peine à surmonter l'inquiétude, l'horizon immédiat se résumant pour beaucoup à une interminable attente dans un camp improvisé où tout manque.
Plus de 15.000 personnes sont passées par cette ville-frontière du nord-ouest éthiopien depuis le début des combats à Khartoum le 15 avril, au rythme d'un millier par jour en moyenne, selon l'Organisation internationale des migrations (OIM) de l'ONU. Ces derniers jours, ils étaient majoritairement Soudanais et Ethiopiens.
Tous racontent le déchirement du départ, inéluctable après des jours passés reclus, la peur au ventre, dans une capitale soudanaise en proie aux tirs et aux bombardements, puis les 550 kilomètres d'angoisse durant un trajet jalonné de barrages d'hommes armés qui les rançonnent.
Poussiéreuse et brûlante, Metema, accessible par une route directe depuis le sud-est de Khartoum, leur offre un premier répit.
"Désormais on est en sécurité, on nous donne un abri et un peu de nourriture parfois, et ça va mieux puisque nous restons en vie", se rassure Muhamad Yusuf, Soudanais arrivé après trois jours de route.
"Toutefois, nous espérons (...) partir pour un autre pays, meilleur, si on peut obtenir l'asile ou si des pays peuvent nous ouvrir leur porte, ce serait mieux", poursuit-il.
A côté du soulagement et des espoirs, le découragement gagne. Actuellement, "ma vie quotidienne se résume à moisir ici. Les réfugiés sont dans une situation très difficile, ils ont tout laissé derrière eux et n'ont pas moyen de revenir en arrière", déplore ce commissaire aux comptes de 30 ans, parti avec quelques "vêtements et un peu d'argent".
- "Checkpoints" -
Les conditions sont précaires dans ce camp de fortune dressé à la hâte ces dernières semaines, agglomérat de bâches tendues entre des arbres.
Il y a peu de nourriture, disent les réfugiés et en cette fin d'après-midi, le réservoir de 10.000 litres d'eau où ils s'approvisionnent est vide. Un camion-citerne ne viendra le remplir que le lendemain matin.
Ceux qui ont de l'argent peuvent acheter eau minérale ou jus de fruits que proposent dans des brouettes des habitants de la ville.
D'autres habitants transportent les bagages, sur des remorques tractées par des ânes ou sur des brouettes, sur la centaine de mètres qui séparent les drapeaux des deux pays. Un service payant et "obligatoire", de mèche avec les garde-frontières soudanais, se plaignent des réfugiés.
Pour "sauver sa vie", Mohamed Ali, Ethiopien de 30 ans, a laissé derrière lui ses biens et les économies de sept ans de labeur comme serveur dans la capitale soudanaise. "J'avais dépensé beaucoup d'argent pour aller là-bas" et "j'ai dû emprunter de l'argent pour retourner dans mon pays", raconte-t-il après 24 heures d'éprouvant trajet.
"Il est très dur de trouver un moyen de transport depuis Khartoum (...) les bus demandent jusqu'à 150.000 livres soudanaises (225 euros) et il y a de nombreux checkpoints sur la route". "Les soldats nous fouillent et prennent ce qu'ils trouvent, notre argent et ce qu'on a sur soi".
- "Aucun espoir" -
A ses côtés, son compatriote Zakir Aba Jihad, 25 ans, vivait depuis huit ans à Khartoum. "Je suis parti seulement avec les vêtements que je porte", raconte cet ouvrier sidérurgique, évoquant une ville livrée aux pillards.
Tous deux espèrent pouvoir désormais repartir de zéro en Ethiopie, une fois trouvé le moyen de rentrer chez eux à Jimma, dans le sud-ouest éthiopien, un nouveau trajet d'un millier de kilomètres.
D'autres n'ont plus de passeport ou pas de pays où rentrer.
"On a soumis notre cas au HCR", l'agence onusienne des réfugiés, "on ne sait pas ce qui va se passer", explique, avec plusieurs compatriotes, Mohammad Yousuf, Afghan de 29 ans qui étudiait à Khartoum et n'envisage pas un retour dans l'Afghanistan des talibans.
Un Nigérian souhaitant rester anonyme montre son passeport en soupirant: l'immigration éthiopienne "me demande 80 dollars pour un visa" permettant de rejoindre Addis Abeba, "mais je n'ai pas d'argent".
Le Soudanais Muhamad Yusuf nourrit peu d'espoir de revoir son pays.
L'armée gouverne "depuis 30 ans. Le Soudan va de mal en pis chaque jour, nous n'avons réellement aucun espoir", explique-t-il: "Si la guerre s'arrêtait aujourd'hui, quel serait l'avenir? La démocratie? Une amélioration économique?".
"Nous devons être réalistes, il nous faut trouver une autre solution (...) Si un miracle arrivait, si le Soudan avait un gouvernement civil, la démocratie et la liberté alors peut-être nous aurions un bon pays (...) mais nous sommes gouvernés par des criminels".