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La résidence familiale de Jawaharlal Nehru, l'un des architectes de l'Indépendance de l'Inde et confident du Mahatma Gandhi, est aujourd'hui un musée gardien de sa mémoire. Mais 75 ans plus tard, les nationalistes hindous révisent l'histoire à leur convenance.
"Avant, les visiteurs venaient ici, pleins de déférence", se souvient Vinod Mishra, employé du musée à la mémoire du premier Premier ministre de l'Inde.
"Désormais, ils glosent sur sa demeure, ses biens, sous-entendent qu'il s'est beaucoup enrichi comme tant de politiciens" corrompus", fustige celui qui travaille au musée depuis 15 ans.
Le parti du Congrès de Nehru et la dynastie qu'il a fondée - sa fille Indira Gandhi et son petit-fils Rajiv ont aussi occupé le poste de Premier ministre - dominent la politique indienne depuis des décennies.
Mais depuis 2014, Narendra Modi et le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP) sont au pouvoir et font ce qu'il faut pour y rester.
M. Modi critique souvent Nehru, le tenant pour responsable du conflit perdurant au Cachemire et de la défaite de la guerre contre la Chine en 1962, pour mieux discréditer le Congrès, désormais principal parti d'opposition.
D'après les historiens et défenseurs des droits, le BJP s'attache à réviser l'Histoire de sorte qu'elle fasse la part belle à son idéologie.
- Empereur moghol contre roi hindou -
Le moghol Akbar, empereur de 1556 à 1602, avait vaincu l'hindou Maharana Pratap, roi de la province de Mewar, dans la bataille de Haldighati (1576). Mais dans certains livres d'Histoire indiens, il est donné perdant désormais.
Comme dans "Maharanas: A Thousand Year War for Dharma", ouvrage d'Omendra Ratnu qui s'attache à réécrire l'Histoire à la gloire des rois et guerriers hindous, niant la grandeur de l'Empire moghol.
"Qu'est-ce que les invasions islamiques ont fait pour ce pays en 1.400 ans d'assaut?" déclare l'auteur à l'AFP.
"Ils ont construit trois bâtiments - le Taj Mahal, le Fort Rouge et le Qutub Minar - tous trois contestés par des revendications hindoues", affirme-t-il pour faire valoir sa thèse.
Amit Shah, ministre de l'Intérieur, allié-clé de Narendra Modi, a personnellement défendu cet ouvrage, clamant que "personne ne peut nous empêcher d'écrire la vérité".
"Nous sommes maintenant indépendants. Nous pouvons écrire notre propre histoire", a-t-il argué.
Nombre de dirigeants du BJP décrivent les dynasties mogholes ayant régné sur les Indes comme des envahisseurs barbares pour attiser la haine contre 210 millions Indiens musulmans.
Sur 1,4 milliard d'Indiens, 98% sont hindous.
Le courant dominant de l'Histoire de l'Inde est, selon Omendra Ratnu, "une escroquerie", se félicitant de la révision actuelle des manuels scolaires constituant "un petit pas - mais un pas dans la bonne direction".
Suivant le même principe, Allahabad où se trouve la demeure de Nehru, a été rebaptisée Prayagraj, son ancien nom hindou, perdu justement sous le règne d'Akbar.
Les nationalistes hindous accusent les historiens d'avoir glorifié ces empereurs moghols, oubliant les accomplissements des seigneurs hindous.
Selon eux, les historiens ont aussi exagéré le rôle du Congrès dans la lutte pour l'indépendance, en occultant des figures nationalistes que le BJP vénère.
En conséquence, l'histoire contemporaine est aussi remaniée, affirme un journal local, accusant une administration d'avoir occulté, dans certains manuels scolaires, toute référence aux émeutes interconfessionnelles qui se sont produites en 2002, dans l'Etat du Gujarat dirigé à l'époque par M. Modi. Elles avaient fait environ 1.000 morts, essentiellement musulmans.
- Education "au goût safran" -
Les États de l'Haryana et du Gujarat, gouvernés par le BJP, ont ajouté un livre sacré hindou au programme scolaire, faisant du prosélytisme au sein même du système éducatif, en principe laïc.
Les efforts révisionnistes du BJP visent surtout à "façonner aujourd'hui son propre rôle pour les décennies futures", estime S. Irfan Habib, historien à New Delhi.
"C'est dangereux car ces livres forment de jeunes esprits qui grandiront avec une compréhension très différente de l'Inde", prévient M. Habib.
Mais, dit-il à l'AFP, "le gouvernement a la majorité absolue, il n'y a pas grand-chose à faire".
Un discours du fondateur de l'organisation nationaliste hindoue Rashtriya Swayamsewak Sangh, source idéologique du BJP, apparaît dans un manuel scolaire du Karnataka.
Rahul Gandhi, arrière-petit-fils de Nehru et dirigeant du parti du Congrès, fustige une "tentative de prodiguer aux enfants des enseignements au goût safran (...)", en référence à la couleur emblématique de l'hindouisme.
C'est "une insulte à l'Inde, berceau de la diversité", dénonce-t-il.
Au Karnataka, un autre manuel scolaire raconte que Vinayak Damodar Savarkar, révolutionnaire nationaliste et idéologue de l'"Hindutva" (hégémonie hindoue), faisait, lorsqu'il était prisonnier des Britanniques, de fréquentes excursions hors de sa cellule sur les ailes des petits oiseaux.
Vikram Sampath, un biographe de Savarkar, s'insurge contre cette "insertion stupide". Avec d'autres jeunes historiens qui oeuvrent à la "décolonisation" de l'Histoire de l'Inde, il souhaite néanmoins des révisions de qualité.
Mais l'Inde "mûrit lentement en tant que démocratie", dit-il, en espérant que "les personnages historiques ne soient pas les otages de la foire d'empoigne de la politique électorale contemporaine".