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Lire en prison, la grande évasion

Dans sa tête, c'est comme s'il était "le producteur d'une série": Adama* n'est pas en école de cinéma mais détenu à la prison de la Santé où, depuis quelques mois, il s'"évade" de son quotidien par la lecture.

Une fois traversées la cour d'honneur et l'impressionnante tour centrale de cette maison d'arrêt rouverte en 2019 après quatre ans de travaux, bienvenue dans le pôle insertion où se déroulent toutes les activités culturelles.

Affiches aux murs, calme absolu: seuls les barreaux et les surveillants rappellent la réalité du lieu. A l'entrée, une bibliothèque où quelques détenus lisent la presse. Certains, nez dans leurs cahiers, étudient.

"On est victime de notre succès !", s'enthousiasme auprès de l'AFP Jean-Baptiste Devouassoux, bibliothécaire et collaborateur de l'association "Lire pour en Sortir", qui gère le lieu. Au total, la Santé compte sept bibliothèques (dont celle-ci qui est la plus grande) pour un total de 10.000 livres.

- 23% d'illettrisme -

Malgré l'offre, il a fallu s'adapter. Comme toutes les prisons françaises, la maison d'arrêt parisienne est saturée. En janvier, le nombres de détenus atteignait 72.173 personnes, soit une densité carcérale globale de 119%.

Alors, "on a mis en place une liste d'attente", soupire le bibliothécaire.

Organiser des ateliers de lecture en prison: l'idée parait aussi vieille que celle de la détention. Pourtant, elle n'est une réalité que depuis quelques années, grâce au travail d'associations, aujourd'hui soutenues par les pouvoirs publics.

Selon des chiffres gouvernementaux, près d'un détenu sur quatre (23%) est en situation d'illettrisme.

Ce constat, qui a mené pour la première fois cette année à la remise du prix Goncourt des détenus, Alexandre Duval-Stalla, président-fondateur de "Lire pour en Sortir", le fait depuis de nombreuses années.

Au contact de prévenus lors de commissions d'office, auxquelles il participe depuis qu'il a prêté serment, cet avocat d'affaires parisien comprend que "leur difficulté à s'exprimer vient du manque de mots", raconte-t-il à l'AFP.

Lancée en 2015, l'association opère aujourd'hui dans 30 prisons, en métropole et aux Antilles.

Le principe est simple: offrir aux quelque 1.700 détenus bénéficiaires un livre neuf qu'ils choisissent dans le catalogue de l'association. Près de 300 titres y sont recensés dont des BD, des classiques ou des livres de bien-être. La suite ? Une rencontre avec un des 250 bénévoles de l'association.

- Et les surveillants ? -

Parmi eux, Morgane, étudiante en droit. Ce jour-là, elle a prévu de voir trois détenus. La session s'ouvre avec Adama*, en détention depuis neuf mois. Grand gaillard mais visage poupon, il explique s'être lancé dans "l'Étranger" de Camus.

Une lecture semée d'embûches: "Y avait trop de mots que je ne comprenais pas", dit-il. Attentive, Morgane lui suggère de commander un dictionnaire.

Vient le tour de Moussa*. Loquace, ce détenu condamné en juillet aime poser les questions. Moins y répondre. Avec enthousiasme, il évoque sa pile de livres qui l'accompagneront à sa sortie.

Hors catégories: Youssef, prévenu à la Santé depuis "plusieurs années". Il a lu plus de 300 livres et est aussi l'une des plumes du journal de la prison, le "Phenix".

Tous décrivent le "choc" de la surpopulation carcérale. "Tous les mercredis, on appréhende. Tu pars en promenade et, hop, au retour, tu découvres deux nouveaux détenus dans ta cellule", confie Moussa.

La lecture est une "bouée", une "parenthèse", complète Youssef. "Ca me permet de m'évader, penser à autre chose. Quand je lis, je m'imagine les scènes. Dans ma tête, c'est comme si j'étais le producteur d'une série", confie Adama*.

"La surpopulation entraîne structurellement des frustrations, des violences et des difficultés, pas que pour les détenus", souligne Alexandre Duval-Stalla, pour qui "le lien avec les surveillants est essentiel". Si essentiel que l'association a étendu son action en dotant leurs salles de repos de boîtes à livres.

D'ici 2024, l'association espère intervenir dans cinquante établissements. Un nombre qui pourrait encore augmenter, poussé par la suppression des réductions de peine automatiques qui pousse les détenus à participer à des activités, comme la lecture. Quand celle-ci s'offre à eux.

*Les prénoms ont été modifiés

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