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Sénégal: premiers heurts après un report à hauts risques de la présidentielle

Des heurts ont éclaté dimanche à Dakar entre forces de sécurité et manifestants protestant contre le report inédit de la présidentielle annoncé la veille par le chef de l'Etat Macky Sall dans une atmosphère hautement volatile.

Les gendarmes ont déclenché un tir nourri de grenades lacrymogènes contre des centaines d'hommes et de femmes de tous âges qui, drapeau du Sénégal à la main ou maillot de l'équipe nationale de foot sur le dos, convergeaient sur l'un des principaux axes routiers de la capitale vers un rond-point où plusieurs candidats d'opposition leur avaient donné rendez-vous, ont constaté les journalistes de l'AFP.

Les gendarmes, déployés en grand nombre, se sont enfoncés à pied ou en pickups dans les quartiers adjacents à la poursuite des manifestants en fuite. Ils ont alors essuyé des jets de pierres.

Des jeunes scandant "Macky Sall dictateur !" ont dressé des barrages avec des moyens de fortune et incendié des pneus.

Les forces de sécurité ont aussi tiré des grenades lacrymogènes sur les nombreux partisans de Khalifa Sall qui s'étaient rassemblés près du quartier général de leur candidat. Plusieurs femmes se sont trouvées mal sous l'effet des gaz.

L'opposante et ancienne Première ministre Aminata Touré, autre farouche adversaire de l'ajournement, a été arrêtée lors d'un des rassemblements, a indiqué à l'AFP le député d'opposition Guy Marius Sagna.

L'AFP n'a pu confirmer dans un premier temps des informations selon lesquelles une candidate à la présidentielle, Anta Babacar Ngom, était également détenue. Des images publiées sur les réseaux sociaux la montrent aux prises avec des membres des forces de sécurité.

Un autre candidat, Daouda Ndiaye, a posté sur les réseaux sociaux un message où il assure avoir été "brutalisé" par les forces de l'ordre.

Les autorités ont suspendu le signal de la télévision privée Walf TV, coupable selon elles d'"incitation à la violence" à travers ses images des protestations.

"Macky Sall veut faire de nous des esclaves. Il ose nous servir des motifs aussi fallacieux pour reporter l'élection, en plus à quelques heures seulement du début de la campagne", s'est indigné un protestataire, Ousmane Biteye, commerçant de 44 ans.

Ce sont les premiers troubles consécutifs à l'annonce par le président Sall du report de la présidentielle du 25 février.

"Nous sommes sortis pour dire non à cette forfaiture, non à ce coup d'Etat constitutionnel", a déclaré à l'AFP un manifestant, Demba Ba, 36 ans.

Le report a suscité un tollé et fait craindre un accès de fièvre dans un pays réputé comme un îlot de stabilité en Afrique de l'Ouest, mais qui a connu différents épisodes de troubles meurtriers depuis 2021.

L'annonce a aussi provoqué l'inquiétude à l'étranger.

C'est la première fois depuis 1963 qu'une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal, un pays qui n'a jamais connu de coup d'Etat, une rareté sur le continent.

Le président Sall a invoqué le conflit qui a éclaté entre le Conseil constitutionnel et l'Assemblée nationale après la validation définitive par la juridiction de vingt candidatures et l'élimination de plusieurs dizaines d'autres.

Les députés doivent se réunir lundi pour examiner une proposition de loi pour le report de la présidentielle de six mois, a appris l'AFP auprès du Parlement. Le texte doit être approuvé par les 3/5èmes des 165 députés pour être validé.

Ce débat s'annonce comme un autre temps fort de la crise et l'approbation du texte ne semble pas acquise.

A l'initiative de Karim Wade, un candidat recalé qui a remis en cause l'intégrité de deux juges constitutionnels et réclamé le report de l'élection, l'Assemblée avait approuvé la semaine dernière la création d'une commission d'enquête sur les conditions de validation des candidatures.

Contre toute attente, des députés du camp présidentiel ont soutenu la démarche. Elle a provoqué une vive querelle sur la séparation des pouvoirs, mais aussi nourri le soupçon d'un plan du pouvoir pour ajourner la présidentielle et éviter une défaite. Le candidat du camp présidentiel, le Premier ministre Amadou Ba, est contesté dans ses propres rangs et fait face à des dissidents.

Au contraire, le candidat anti-système Bassirou Diomaye Faye, à la candidature validée par le Conseil constitutionnel bien qu'il soit emprisonné depuis 2023, s'est imposé ces dernières semaines comme un postulant crédible à la victoire, un scénario cauchemar pour le camp présidentiel.

Un député d'opposition, Ayib Daffé, a assuré sur les réseaux sociaux que des parlementaires du camp présidentiel avaient proposé, lors d'une réunion préparatoire à la séance de lundi, de prolonger d'un an le mandat du président sortant.

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