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Nouvel accès de fièvre sur la liberté d'expression à l'université

Pièce de théâtre interdite, livres déchirés, débats reprogrammés: une série d'incidents dans les universités a relancé le débat sur l'étendue de la liberté d'expression dans ces lieux de savoir, habitués aux pressions et aux affrontements idéologiques.

La semaine dernière, plus de 100 universitaires, intellectuels et essayistes, dont les philosophes Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut, s'inquiétaient dans une tribune de la multiplication d'actes de violence dans les universités. "Plusieurs événements récents démontrent que la liberté d'expression et de communication est entravée dans les universités françaises", écrivaient-ils, pointant notamment du doigt des "organisations d'extrême gauche".

Début novembre, un autre collectif d'universitaires, parmi lesquels Pierre Nora (EHESS) ou Pierre-André Taguieff (CNRS), s'alarmait de "pressions insidieuses" et de "nouvelles censures".

Dernier épisode en date: le président du Centre d'analyse du terrorisme (CAT) Jean-Charles Brisard a qualifié la semaine dernière de "censure brutale" le refus de Sorbonne Université d'accueillir une conférence internationale sur le terrorisme, contraignant à en changer le lieu en urgence. "L'évènement n'a pas été annulé" mais déplacé pour raisons de sécurité, s'est défendue l'université.

Quelques jours avant, l'ancien président François Hollande avait été empêché de donner une conférence à l'université de Lille par des manifestants, certains déchirant les pages de son dernier livre.

A Bordeaux, fin octobre, l'université Montaigne annonçait qu'une conférence-débat avec la philosophe Sylviane Agacinski, opposante à la GPA (gestation pour autrui), allait être reprogrammée après avoir été annulée à la suite de "menaces violentes".

Autant d'exemples faisant craindre un recul de la liberté d'expression dans ces lieux de savoir. "C'est une sorte de nouveau maccarthysme", a dénoncé le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer fin octobre.

Pour lutter contre "ces nouvelles censures", un collectif d'une centaine d'universitaires, baptisé "vigilance universités", s'était constitué dès 2016. "Un certain nombre d'oppositions récentes viennent de la mouvance indigéniste ou décoloniale, qui progresse depuis quelques années", affirme Gilles Denis, maître de conférence à l'université de Lille et membre de ce réseau qui dit veiller "contre le racisme et l'antisémitisme" et défendre la laïcité.

- "Caisse de résonance" -

Plus visibles, ces atteintes à la liberté d'expression sont-elles pour autant plus nombreuses ?

"Attention à l'effet de loupe, les pressions ont toujours existé dans les facs car ce sont justement des lieux de libre expression", souligne Jean-Loup Salzmann, ancien président de Paris-13 et de la conférence des présidents d'université. "On est actuellement dans une période un peu violente, cela se reflète aussi à l'université".

Un avis partagé par Alain Tallon, doyen de la faculté de lettres de la Sorbonne: "L'université est le lieu où se produit le savoir, où règne une liberté académique importante, certains groupuscules savent qu'ils y trouveront une sorte de caisse de résonance".

En mars à la Sorbonne, la représentation de la pièce Les Suppliantes d'Eschyle a été annulée après avoir été accusée de véhiculer une "propagande afrophobe" parce que certains acteurs portaient des masques noirs, assimilés à des "blackface".

"La représentation s'est tenue plus tard, dans le grand amphi dans des conditions pas satisfaisantes, sur invitation...", regrette Alain Tallon, tout en assurant qu'il n'acceptera "jamais d'interdire un spectacle, un cours ou une conférence sous la contrainte".

"Il faut savoir résister aux pressions quand elles sont illégitimes, quand elles portent atteinte à la liberté d'expression", abonde Georges Haddad, président de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Critiqué le mois dernier pour avoir mis un terme, sous la pression d'étudiants et d'enseignants, à une série de conférences sur "la détection des signaux faibles" de radicalisation, il explique avoir "jugé opportun de reporter cette formation pour calmer les esprits".

Mais "nous allons lancer un grand cycle de conférences sur des sujets brûlants comme la radicalisation ou la PMA", promet-il. Car "c'est la grande mission de l'université d'être un lieu de débat, de dialogue et de confrontation".

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