"Femme d'Etat" incarnant "la gauche morale", Christiane Taubira, qui a dit vendredi envisager une candidature à la présidentielle de 2022, fait office d'électron libre à gauche avec un parcours et une personnalité à part qui la rendent très populaire.
Cette petite femme de 69 ans au regard perçant, sanglée dans ses tailleurs pantalons, tressée de près, a toujours cultivé le "mystère", entre prises de parole remarquées et un certain mutisme.
A l'image de sa vidéo très attendue postée vendredi sur les réseaux sociaux où elle ne lève pas complètement le mystère, disant "envisager" sa candidature, tout en "donnant rendez-vous à la mi-janvier" et en assurant qu'elle "ne sera pas une candidate de plus".
Une chose est sûre: elle dit "ne pas aimer la routine", "j'en ai même très peur", confiait l'ancienne garde des Sceaux en 2019 à Libération.
Autre facette de la Guyanaise, "elle aime le consensus" et "ne veut pas être dans la rupture", assurait très récemment à l'AFP un élu qui l'a côtoyée.
Née à Cayenne le 2 février 1952 dans une famille modeste, diplômée en sciences économiques, en agro-alimentaire, en sociologie et en ethnologie afro-américaine, elle grandit en Guyane dans une famille de onze enfants.
Sympathisante des thèses indépendantistes dans sa jeunesse, elle fait ses débuts en politique en remportant en 1993 les législatives avec son mouvement le Walwari (divers gauche), créé avec son mari Roland Delannon, dont elle aura quatre enfants et dont elle a divorcé. Elle est également députée européenne de 1994 à 1999.
Son nom reste depuis associé à une loi votée en 2001 qui reconnaît la traite et l'esclavage comme crime contre l'humanité.
L'année suivante, elle se présente à la présidentielle, sous les couleurs du Parti radical de gauche (PRG), promettant une "République protectrice des différences". Elle ne recueille que 2,32% des voix et se voit accusée d'avoir contribué à la chute du candidat socialiste Lionel Jospin.
En 2012, au lendemain de la victoire de François Hollande, elle intègre le gouvernement Ayrault I comme ministre de la Justice.
- "Libre" -
Les Français la découvrent quelques mois plus tard défendant sans relâche le projet de loi de "mariage pour tous" face à l'opposition féroce de la droite.
La loi est adoptée en avril 2013. La gauche ovationne la ministre.
Malgré ce succès personnel, cette bonne oratrice peine tout de même à imposer ses idées. Après avoir perdu ses arbitrages sur la réforme pénale, l'un de ses projets phare, la réforme de la justice des mineurs, qu'elle veut moins répressive, s'enlise.
L'extrême droite vise directement sa couleur de peau, elle encaisse.
Début 2016, elle dit stop. Elle remet sa démission à François Hollande quelques semaines après la proposition polémique de l'ancien chef de l’Etat socialiste de déchéance de nationalité, un projet qu'elle désapprouve publiquement.
Depuis, elle partage sa vie entre ses terres natales en Guyane et son appartement parisien et n'intervient que très rarement dans les médias.
"C'est une femme d'Etat, libre, avec un parcours républicain", loue Guillaume Lacroix, président du PRG dont elle est issue. "Elle incarne la gauche morale", estime-t-il auprès de l’AFP.
Mais pour un membre de la direction d’EELV, il lui manque "un corpus idéologique écologiste très développé" pour convaincre les électeurs de gauche. "Ca ne fait pas partie de son histoire politique", enchaîne-t-il.
"Sur beaucoup de sujets, je ne sais pas ce qu'elle pense réellement", dit à l'AFP le député LFI Alexis Corbière.
Fin septembre, elle avait refusé d'appeler à la vaccination contre le Covid en Guyane, provoquant un tollé, le ministre de la Santé Olivier Véran évoquant même la "lâcheté" de l'ancienne députée.
Depuis, son nom circulait pour se lancer dans la Primaire populaire, qui vise à désigner fin janvier 2022 un candidat unique à la gauche pour la présidentielle d'avril. Son entourage proche confirmait, lui, qu'elle "réfléchissait".
Reste désormais à dévoiler ses intentions exactes alors que la gauche semble irrémédiablement divisée, quelques jours après le refus de Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon de participer à une primaire, désormais poussée aussi par Anne Hidalgo.