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"On va finir notre vie à l'hôtel": avant l'hiver, le système d'hébergement des familles sature

"J'ai déjà dit à ma mère: +on va finir notre vie à l'hôtel+", plaisante Ayoub Gakichev. Cet adolescent et sa famille écument les hôtels sociaux depuis presque 10 ans, un cas fréquent qui illustre la saturation du système d'hébergement d'urgence.

Lorsque la famille Gakichev a fui la Tchéchénie pour la France en 2009, Emma et ses trois enfants, Ayoub, Mansour et Adam, ont échappé aux rigueurs de la rue et de l'hiver. En trois jours, le Samu social leur a trouvé une place d'urgence dans un hôtel à bas coût. Une solution provisoire, qui s'est transformée en mode de vie.

Paris, Seine-Saint-Denis, Val-d'Oise: en une décennie la famille a changé huit fois d'établissement. Depuis six mois, elle loge à l'hôtel des Alliés dans la capitale. Cette façade discrète du XIIe arrondissement, qui affiche "complet" et dispose d'un WC partagé par étage, n'est "ni le meilleur, ni le pire" hébergement que la famille ait connu.

A quatre, ils logent dans 20m2 environ. Le seuil de leur chambre donne sur la douche et de chaque côté s'ouvrent deux petites pièces longilignes.

L'ameublement est chiche: un lavabo, un mini frigo, deux tables, trois étagères murales, une armoire et deux lits superposés installés il y a quelque jours. Auparavant, Emma dormait à tour de rôle avec ses fils Mansour ou Adam, respectivement 17 et 15 ans, dans un lit de 110 cm de large.

- L'hôtel, une "drogue dure" -

En 15 ans, le nombre de familles à la rue a explosé. Avec des centres d'hébergement d'urgence majoritairement conçus pour mettre à l'abri les hommes seuls, le recours aux hôtels s'est généralisé et son coût pour l'Etat a grimpé à 300 millions d'euros par an, selon Florent Gueguen de la Fédération des acteurs de la solidarité.

"L'hôtel est une drogue dure pour soulager le système d'hébergement d'urgence", résume-t-il. "C'est devenu la seule alternative des associations pour empêcher que les familles dorment à la rue."

En Ile-de-France, 40.000 personnes sont ainsi hébergées dans des hôtels. Comme Emma, 12% d'entre elles y résident depuis plus de cinq ans, selon le Samu social de Paris.

"Il faut aider ces familles à accéder à un logement permanent", a affirmé le ministre du Logement Julien Denormandie dans un entretien au Parisien mercredi, en annonçant une enveloppe de 5 millions d'euros pour y parvenir.

En l'absence de cuisine, la mère de famille de 41 ans a acheté des ustensiles et une plaque électrique. De quoi bricoler des "mantis", sortes de raviolis au boeuf, et autres plats traditionnels tchétchènes et oublier les murs humides, le linoléum troué et les cafards collés aux pièges sous les lits.

"On a un toit. Mais plus on grandit, plus on se dit que c'est serré", confie Ayoub, 19 ans dont une bonne moitié en hôtel.

Pourtant, la situation d'Emma a bien changé depuis son arrivée en France. Au départ, elle comptait sur les Restos du coeur et sur l'argent envoyé par son frère pour survivre. Aujourd'hui, elle a des papiers, gagne 1.400 euros par mois comme gouvernante d'hôtel... mais toujours pas d'adresse fixe.

Un appartement, "ça changerait tout", rêve-t-elle sous son chignon blond. "Je pourrais enfin dormir dans mon lit."

- "Au bout du système" -

Ces familles ont du mal à sortir du circuit hôtelier, faute de papiers ou de ressources suffisantes, explique Eric Pliez, président du Samu social de Paris. Et car "elles sont mal accompagnées": il n'y a pas de travailleurs sociaux à l'hôtel, contrairement aux centres d'hébergement.

"On est au bout du système", affirme-t-il. "L'offre hôtelière est totalement saturée sur la région parisienne".

En octobre, le Samu social a laissé chaque jour 1.000 personnes à la rue, "aux trois quarts des familles", rappelle-t-il.

A partir de novembre, les milliers de places temporaires ouvertes avec la chute des températures doivent permettre de mettre chacun à l'abri. "Dispositif encore sous-dimensionné", selon Eric Pliez.

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