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Ancien alcoolodépendant, Pierre-Joseph témoigne pour aider les autres: "Être addict, c’est une souffrance au quotidien"

Pierre-Joseph, un ancien alcoolodépendant, a vécu un parcours du combattant pour venir à bout de son addiction. Aujourd'hui, il témoigne pour aider des personnes qui, comme lui, ont perdu leurs repères à la suite d'une consommation d'alcool trop importante. Le Tournaisien a également créé une ASBL en vue de les soutenir dans le chemin vers la réinsertion professionnelle. 

Pierre-Joseph, un habitant de Maulde (Tournai), est un ancien alcoolodépendant. À 56 ans, cet administrateur d'une société de conseil en management partage son expérience pour mettre en garde et apporter des solutions face à l'alcoolisme. 

Pour ce père de famille, les conséquences de l'abus d'alcool sont intervenues dans sa vie il y a une trentaine d'années.

"Ce sont des souvenirs un petit peu pénibles. L’alcoolisme pur et dur est arrivé dans ma vie assez tardivement, vers 23-24 ans. Il a fallu beaucoup d’interventions de mes amis, et quelques consommations de litres de whisky pour qu’on me dise que ce serait peut-être bien de me reprendre en mains. Un ami m’a pris par la main et m’a conduit vers ma première cure de désintoxication au centre psychiatrique de Tournai."

Voici son histoire racontée de l'intérieur, entre reprises en main, rechutes et un sentiment de soulagement. 

"Être addict, c’est une souffrance quotidienne. On boit parce qu'on en a besoin. Quand on a trop bu, on vomit, car le corps ne l'accepte plus. Et on n'a pas fini de vomir qu'on recherche déjà à boire. Être addict, c’est se réveiller pour rechercher une seule chose : l’alcool. C’est sortir pour rechercher de l’alcool. À force d’être ainsi, on perd toutes valeurs et beaucoup de contacts. Quand je me souviens de cette période, je ressens encore la douleur physique et morale. On n'aime pas trop ce qu’on voit dans la glace. La première personne qu'on méprise, c’est soi-même. Et dans le regard des autres, on voit le même mépris. Cela fait partie des grosses difficultés."

Entre sa première cure de désintoxication et sa dernière goutte d'alcool, 12 années se sont écoulées. Pierre-Joseph dit avoir dû "tout reconstruire". Éloigné de sa famille, de ses amis et du monde professionnel, il mesure aujourd'hui tout le chemin parcouru pour retrouver une vie "équilibrée".

"L’alcool a eu des conséquences très importantes sur ma santé et sur ma vie sociale. Mes amis se sont très logiquement écartés, et j’ai eu la chance de les retrouver pour la plupart. Au niveau de ma famille, même chose. Mais j’ai eu la chance d’avoir une maman qui s’est assurée toute ma vie que je sois logé, nourri", raconte-t-il.  

"Les conséquences sur ma vie? La solitude, l’échec, plus de vie professionnelle donc plus de revenus, pas de bonheur, pas d’espoir, du rêve mais toujours l’impression que tout devient inaccessible. C’est ça qui est le pire. J’ai commencé à vivre il y a 12 ans car je n’avais plus trop le choix. Je ne savais plus me nourrir tout seul. Me laver et me déplacer étaient compliqués. En 12 ans, j'ai vécu 12 rechutes. Chaque rechute a été un peu plus lourde."  

En 2012, le déclic. Pierre-Joseph s'est offert un dernier verre dans un café. "J’ai bu une gorgée et je me suis trouvé tellement pathétique, que je suis rentré chez moi. C’était mon dernier contact volontaire avec l’alcool. Cela ne me manque pas. Je trouve que le jeu n’en vaut pas la chandelle. J’ai tellement de souvenirs de douleurs physiques. Et puis, je vois ce que je suis redevenu. Je vois ma compagne, ma fille, mes amis… Est-ce que ça vaut vraiment la peine de mettre tout cela en péril ?" 

A Maulde, Pierre-Joseph a décidé de partager cette expérience via son ASBL Alternatives-Zéro, qui s'est lancée dans la commercialisation de boissons sans alcool. Avec cette activité et les revenus générés, le Tournaisien a l'ambition de permettre notamment à d'anciens alcoolodépendants de reprendre une vie professionnelle.

Mais quels sont les signes de l'alcoolodépendance? Nous avons posé la question à Thomas Orban, médecin spécialisé dans les dépendances à l'alcool.

"Il y a des signes. J’utilise souvent les 5 C. La personne utilise-t-elle la drogue ou l’alcool de manière compulsive, continue ? Perd-elle le contrôle ? Elle continue tout cela malgré les conséquences dans sa vie, y compris sur son travail. Et elle a du craving, une envie irrésistible de consommer. Je dis souvent que le craving est au désir, ce que l’angoisse est à la peur", explique le spécialiste.  

Y a-t-il de plus en plus d’alcoolodépendants dans notre société ? "Je ne sais pas s’il y en a de plus en plus mais en tout cas nous vivons dans une des parties du monde qui en consomme le plus. Les Belges sont dans le top 10 à mon avis des consommateurs d’alcool en Europe.  On a des chiffres qui varient, mais il y a 5 à 8% d’alcoolodépendants dans notre population, c’est-à-dire des gens qui ont perdu la liberté de s’abstenir de boire. C’est malheureusement un des problèmes de santé pour lequel il y a le plus grand trou, entre le nombre de patients atteints et le nombre de patients diagnostiqués et traités. Il y a un aveuglement, un déni sociétal. C’est comme s’ils n’existaient pas. On diagnostique plus facilement les dépressions, les schizophrénies, les bipolaires… On les traite davantage que les patients alcoolodépendants. C’est un déni entre le fait de reconnaître que l’alcool est un lubrifiant social, qui peut nous permettre de nous amuser, de passer de bons moments, mais c’est aussi une drogue dure. C’est celle qui fait le plus de dégâts sur la société, sur l’individu, sur son entourage. On ne veut pas voir cette partie-là, qui est moins amusante. C’est le côté sombre de la force."

Y a-t-il un manque de soutien pour accompagner ces personnes vers une réinsertion dans la société ? "C’est une évidence. Ce sont les patients qui le disent eux-mêmes. Ils ne se sentent pas soutenus. Ils ne se sentent pas aidés, et ils se sentent la plupart du temps jugés, peu accompagnés. Il y a un manque de structure d’accueil et d’accompagnement. Il y a un manque d’addictologues, d’alcoologues. Tout cela, ça manque en Belgique. Alors que ce qui ne manque pas, c’est de la publicité sur l’alcool, de l’alcool partout, dans toutes les fêtes. Je ne vais pas décrier l’alcool, mais il ne faut pas l’utiliser dans cette forme-là, cette quantité-là."

Quels sont les conseils pour se débarrasser de cette dépendance ? "Il faut être accompagné, aidé. Ce n’est pas indispensable pour tous, mais la plupart des gens vont mieux quand ils sont accompagnés. Le premier soin est la relation thérapeutique, et ne pas être tout seul face à cette maladie, avec toute la place qu’elle prend sur place le plan symbolique dans la société, dans la famille… Le premier conseil est d’en parler à son médecin généraliste et si besoin d’être accompagné avec un alcoologue, un addictologue, ce sera encore plus utile." 

"Un patient alcoolodépendant, qui est dans l’abstinence, je lui conseille toujours de bien choisir les personnes avec qui il va sortir et qui seront bienveillantes avec lui. Qu’il fasse ces choix-là au début, et ne pas aller dans des endroits où tout le monde va picoler et va l’inciter à mettre la bière en main."

L’exercice physique est par ailleurs important, car il va amener des modifications au niveau cérébral. "Ce qui fait qu’on a moins de craving, moins envie de consommer. On a une abstinence qui a été démontrée comme étant plus longue, avec beaucoup moins de rechutes. Le patient a une estime de lui-même qui va remonter. Son sommeil est de meilleure qualité. Toute une série de choses qui vont aider la personne à rester dans son objectif d’abstinence. Cela a été démontré pour des activités physiques de 5h par semaine. Des études scientifiques l’ont prouvé." 

Thomas Orban conseille également de faire appel à des patients experts. "Ce sont des patients qui vont s’entraider. Tout le monde connaît 'Alcoolique Anonyme' ou 'Villibre'. Il y a aussi des groupes Facebook, et une série d’aides que les patients se donnent entre eux. Il est extrêmement important de faire appel à d’autres personnes que sa propre famille, ou que le soignant médecin. Il y a aussi la psychothérapie, qui est extrêmement importante. Les patients entre eux, on ne les écoute pas assez. Ces personnes-là peuvent vous parler de cette maladie. En tant que médecin, je peux vous parler de cette maladie, mais je n’ai jamais été malade. Je n’ai pas eu ce vécu, ce ressenti personnel." 

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