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À Avignon, un classique du théâtre chinois remis à plat

C'est l'un des spectacles les plus grandioses du festival d'Avignon mais aussi l'un des plus audacieux: un influent metteur en scène chinois ose revisiter "La Maison de thé", pièce-monument de son pays presque intouchable depuis les années 50.

Meng Jinghui, pionnier du théâtre contemporain chinois, bouscule la pièce écrite en 1957 par Lao She, figure majeure de la littérature chinoise et une des premières victimes de la Révolution culturelle.

Depuis la mise en scène adulée de Jiao Juyin en 1958, personne n'a osé la réinventer complètement, hormis une réadaptation en 1999 et un "Teahouse 2.0" proposé en 2017 par le jeune et expérimental Wang Chong.

C'est un peu comme si on avait monté seulement deux versions de l'Avare de Molière.

- La roue de l'Histoire -

"La mise en scène du maître Jiao Juyin est excellente mais elle est un peu datée", sourit Meng Jinghui, 54 ans, dans un entretien avec l'AFP à l'Opéra Confluence à Avignon avant la première mardi.

"Personne n'ose y toucher et quand c'est donné à Pékin c'est encore archi plein", précise cet homme affable, fondateur du Meng Theatre Studio et directeur du Théâtre du Nid d'abeille à Pékin ainsi que de plusieurs festivals en Chine.

Une pièce de trois heures avec des dizaines de personnages de différentes classes sociales, réunis tous dans la maison de thé Yutai, lieu unique de l'action étalée sur trois époques et trois générations: 1898 sous la Chine impériale, la République, et après la fin de l'occupation japonaise.

Mais la mise en scène de Meng Jinghui offrira une vision complètement déjantée, avec en guise de maison de thé une énorme roue de quatre tonnes au milieu de la scène qui tournera à 360 degrés, de la musique électro-rock jouée en direct et "certaines scènes peuvent heurter la sensibililité du public", prévient le festival.

"La roue, c'est l'Histoire en marche, ou une machine à laver qui nettoie notre cerveau", explique le scénographe Zhang Wu. "On y retrouve toutes les facettes de la société; c'est un dispositif amusant mais aussi inhabituel pour les comédiens; ça donne des possibilités d'interprétation".

Un montage qui a nécessité trois jours et une équipe de 60 personnes, 12.000 morceaux de fer à assembler et cinq interprètes pour communiquer entre techniciens chinois et français.

- "Un peu rebelle" -

"Il faut changer, porter un nouveau regard", affirme le metteur en scène également réalisateur qui se dit "un peu rebelle".

Monter une nouvelle production "serait compliqué à Pékin car on pense toujours à l'originale. A Avignon, le public va être plus ouvert car il n'a pas cette référence".

Tombée dans l'oubli comme de nombreuses œuvres après la Révolution culturelle et le "suicide" de Lao She en 1966, elle est redécouverte à partir des années 70 avec l'ouverture de la Chine.

"Gardez-vous de parler des affaires d'État!", est une des célèbres phrases de la pièce. Mais au-delà du politique, Meng Jinghui explique vouloir s'intéresser au rapport entre la collectivité et l'individualisme.

"Lao She a un regard doux envers chaque individu. Il y a beaucoup de petites gens dans la pièce et chacun a ses propres rêves, imagination, fantasmes. Ce sont des individualités très fortes", poursuit M. Meng qui y voit un "lien très fort, très profond avec la société chinoise d'aujourd'hui".

D'après lui, le théâtre contemporain chinois est en ce moment "très dynamique et se pose plein de questions".

"Bien sûr qu'il a des lignes rouges; les artistes sont comme des enfants, ils ont envie de s'exprimer. Il y a toujours une liberté relative, parfois elle s'ouvre, parfois elle se referme. Mais ça va arriver", sourit cet homme affable.

"Il faut juste s'adapter et ne pas être naïf en se disant, comme il y a des lignes rouges, je ne peux plus faire des créations. On peut toujours", ajoute-t-il.

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