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S'inspirant des espaces de travail, des promoteurs réinventent les phalanstères

Peut-on appliquer la notion d'espace de travail collaboratif, alias "coworking", au logement ? Certains promoteurs tentent de développer les espaces d'habitation partagés, et réinventent ainsi des expériences datant de plusieurs siècles comme les phalanstères.

"La tendance du +coliving+, c'est de réduire les espaces privés - dans le modèle anglo-saxon, on descend jusqu'à 12, 13 mètres carrés - et redonner le reste à des espaces partagés", explique à l'AFP Jacques-Edouard Charret, à la tête d'un projet chez le promoteur HPC.

Le promoteur va ouvrir à la rentrée une résidence d'un millier de logements "Ecla Paris Massy-Palaiseau" près du plateau de Saclay, en banlieue parisienne, avec un espace de 3.000 mètres carrés regroupant de multiples services: salles de sport, espaces de restauration, salle de musique, écran de cinéma...

Côté intimité, le cœur de l'offre - plus de la moitié des logements - se résume à un studio de 18 mètres carrés pour quelque 700 euros de loyer, même si le projet, qui coûte plusieurs dizaines de millions d'euros, va du dortoir aux appartements de plusieurs pièces.

"Croisement entre le coût du logement et la solitude dans les grandes villes" selon les termes de M. Charret, le "coliving" est de plus en plus présent dans la communication des promoteurs français.

Certains, comme Kaufman & Broad, le citent parmi les "nouveaux produits" à s'approprier, et, d'autres comme Bouygues, diffusent des offres centrées sur cette nouvelle spécialité.

Dans son nom, le concept s'inspire du "coworking", avec l'espoir de répliquer le succès de ces bureaux partagés et modulables qui ont vu leurs espaces presque doubler depuis deux ans en France.

Comme son modèle, le "coliving" prend exemple sur des modèles apparus aux Etats-Unis. L'acteur le plus emblématique du coworking, Wework, qui a démultiplié à 20 milliards de dollars sa valorisation depuis sa création en 2010, n'a d'ailleurs pas manqué d'explorer ce nouveau terrain via des lieux baptisés "Welive" à Washington et New York.

- "Concept banal" -

En France, les réalisations concrètes sont "embryonnaires", relativise Maxime Lanquetuit, directeur de l'innovation chez le promoteur Altarea Cogedim.

"On en parle beaucoup, on commence à voir des acteurs aujourd'hui, mais on ne parle que de quelques cas", explique-t-il. "En Europe, il y a 130 espaces de +coliving+ dont seulement une trentaine en France."

Parmi les projets déjà sortis de terre, la Babel Community du promoteur Axis a été pionnière en 2017 à Marseille. Parmi les autres acteurs, Icade promet notamment une résidence à Toulouse d'ici à 2021 et Vinci assure déjà faire du "coliving" avec des résidences étudiantes à Nice ou Bordeaux.

Dans certains cas, il est bien difficile de faire la différence entre des résidences classiques et une tendance innovante. Les acteurs s'accordent à tracer une ligne de démarcation: la taille.

"Quand vous entendez les gens parler de +coliving+ en France, c'est du reconditionnement de tous petits espaces", tacle M. Charret. "Tout le modèle est basé sur la taille. S'il n'y avait pas cette masse de résidents, on ne pourrait pas offrir ce niveau de services intégrés dans le loyer."

Une fois prise en compte cette considération, le "coliving" revient-il à une résidence services à grande échelle ? Certains observateurs peinent à y voir une rupture.

"On est en train de réinventer quelque chose qui a déjà existé: c'est plus ou moins les phalanstères", estime l'historien de l'architecture Alexis Markovics.

Inspirés par le socialisme pré-marxiste du philosophe Charles Fourier, ces lieux de vie ont dépassé au XIXe siècle le stade d'utopie pour connaître quelques réalisations concrètes, comme le familistère de Guise dans l'Aisne.

M. Markovics en dresse une description qui rappelle les actuels espaces de "coliving": "la taille des logements était réduite avec un privilège accordé à l'espace partagé: la grande cour vitrée avec ses coursives, c'est le lieu de rencontre et de sociabilité".

En fin de compte, les acteurs du secteur et les observateurs s'accordent sur un point: les manières d'habiter changent, les couples, notamment, se séparent de plus en plus facilement, le désir de cohabitation s'accentue et le "coliving" apparaît comme une réponse parmi d'autres.

"C'est un concept banal", conclut la sociologue de l'habitat Monique Eleb. "C'est une invention de marketing, une sorte de mode, de manière de rafraîchir un phénomène existant, qui est la multiplication des cohabitations aujourd'hui."

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