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Griefs en série contre le projet de réforme de la justice

Procédure pénale et civile, organisation territoriale: c'est sur ces points sensibles du projet de réforme de la justice que se concentrent les critiques des magistrats et avocats, mobilisés vendredi avant la présentation du texte en Conseil des ministres prévue le 18 avril.

- Un accès restreint au juge d'instruction -

Le projet de loi prévoit de faire passer de trois à six mois le délai pour un dépôt de plainte avec constitution de partie civile, qui permet à la victime de demander directement au juge d'instruction le déclenchement d'une enquête.

"Actuellement, une victime dépose une plainte simple, attend trois mois pour savoir si le procureur prend la plainte et si ce n'est pas le cas, peut déposer une plainte avec constitution de partie civile", explique Marie-Aimée Peyron, la bâtonnière de Paris. Le rallongement de délai est, selon elle, "une catastrophe pour les victimes d'infractions". Accéder au juge d'instruction relève de plus en plus d'un "parcours du combattant".

"Plusieurs enquêtes, dont certaines avec un fort retentissement politique, n'auraient jamais vu le jour" sans la plainte avec constitution de partie civile, souligne Pascal Gastineau, président de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI).

Me Peyron cite l'affaire du sang contaminé. Il y a aussi l'enquête sur les "biens mal acquis" de dirigeants africains en France, sur le génocide rwandais, etc.

"Si le parquet était indépendant, le problème ne se poserait pas", juge la bâtonnière, pour qui le projet de loi "renforce" le parquet. "C'est un juge d'instruction aux ailes rognées qu'on nous présente", déplore M. Gastineau.

- Le juge d'instance menacé -

"Au civil, le point qui pose le plus de problème, c'est la suppression du juge d'instance, qui est le juge de proximité par excellence. Il traite le contentieux du quotidien, sur des sommes inférieures à 10.000 euros: des affaires de loyers impayés par exemple", explique Marie-Jane Ody, secrétaire nationale de l'Union syndicale des magistrats (USM).

"Les contentieux seront désormais traités par les tribunaux de grande instance", déplore-t-elle. Or "les magistrats d'instance sont habitués à avoir des parties en personne, sans intermédiaire d'avocats, et sont habitués à les faire s'exprimer".

Le gouvernement affirme qu'aucun lieu de justice ne sera fermé, sans convaincre les syndicats. "Les tribunaux d'instance vont devenir des chambres détachées, or on ne sait pas quels contentieux y seront traités. (...) On les vide de leur substance puis on les fermera", critique Marie-Jane Ody.

- Les injonctions de payer -

Le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) s'inquiète de la création d'une juridiction nationale de traitement dématérialisé des injonctions de payer. Celles-ci "ne seront plus traitées par le juge d'instance mais par une plateforme centralisée", critique Juliane Pinsard, secrétaire nationale du SM.

Actuellement, le créancier, souvent un organisme de crédit ou un assureur, s'adresse au juge d'instance pour les injonctions de payer. "Le juge peut relever des clauses abusives et exerce donc un rôle de protection pour les particuliers", explique Mme Pinsard.

D'après le projet de loi, deux juges traiteront par voie dématérialisée ces injonctions pour toute la France, assistés de 20 à 30 greffiers, critique l'élue du SM. "Il s'agira d'un traitement à la chaîne, très loin du terrain. C'est la voie royale pour les créanciers", selon Mme Pinsard.

- Divorce: suppression de l'audience de conciliation -

Le projet de loi prévoit de supprimer l'audience de conciliation devant le juge aux affaires familiales (JAF), obligatoire lors du lancement de la procédure de divorce contentieuse. Le juge fixe les mesures provisoires dans l'attente du jugement final, notamment pour la garde des enfants.

"Cette audience permet de dégonfler des conflits. Le juge a l'habitude de mener ces débats", estime Marie-Jane Ody. Désormais, "les parties pourront s'accorder entre elles, mais pas forcément dans l'intérêt de l'enfant", s'inquiète-t-elle. "Si les parents sont d'accord, il n'y aura pas de requête devant le JAF et le juge verra l'affaire uniquement pour le jugement final".

"On déjudiciarise, on soulage le juge de tâches, mais pas forcément dans l'intérêt du justiciable. Il faudrait davantage de juges", plaide Mme Ody.

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