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À Grenoble, la cité Mistral panse ses plaies après les émeutes

Au milieu des débris et carcasses calcinées témoignant des nuits successives de troubles, le quartier Mistral de Grenoble retrouvait mercredi un peu de quiétude au moment de rendre hommage aux deux jeunes dont la mort samedi soir a déclenché la colère des jeunes de la cité.

Les habitants de ce quartier sensible se remettent tout juste de trois soirées d'émeutes consécutives aux décès d'Adam Soli et Fatih Karakuss dans un accident de scooter alors qu'ils tentaient d'échapper à la police.

Pour les jeunes du quartier, les policiers sont responsables de leur mort, même si le parquet n'évoque pour l'heure qu'un "accident".

Encouragé par de nombreux appels à l'apaisement, un calme relatif s'est rétabli depuis mardi dans le quartier. Une "marche blanche" silencieuse rassemblant environ 1.500 personnes a défilé mercredi dans une atmosphère recueillie à Mistral, derrière des proches portant une banderole réclamant "Adam et Fatih, plus jamais ça!".

Accueillie par des applaudissements nourris, la cousine de Fatih a remercié les participants de s'être déplacés, au nom des membres de sa famille restés en Turquie. Selon elle, ces derniers appellent "à ce que cesse ce qui se passe et à laisser reposer en paix" les deux jeunes gens.

A la demande des organisateurs, les journalistes étaient tenus à rester micros fermés pendant la procession.

Au pied d'un immeuble, un jeune mécanicien d'un atelier solidaire affirme que les échauffourées sont le fruit d'un "ressentiment" exprimé à chaud par "des enfants" manipulés, selon lui, par la rumeur.

Hassen Bouzeghoub, directeur du centre socio-culturel du quartier Mistral, a évoqué pour sa part le "sentiment d'une bavure policière" très présent chez les jeunes. La semaine dernière, le quartier avait déjà connu une flambée de violences après l'arrestation d'un détenteur de cannabis.

Un jeune père de famille originaire de Lyon explique sous couvert de l'anonymat que "ces dernières nuits, on a tous peu dormi" avec les incendies de véhicules et affrontements entre jeunes et forces de l'ordre.

"On passe nos soirées aux fenêtres de nos appartements", détaille-t-il sous le regard approbateur de sa voisine.

Il affirme être pourtant arrivé "par choix" il y a six ans dans ce quartier "extra", baigné de "solidarité" et où se "brassent les cultures".

Le quadragénaire souligne que les 3.000 âmes du quartier érigé en 1975 et que différentes vagues de relogements, destructions et réhabilitations ont peu a peu vidé, n'ont "pas d'autre choix" que de vivre avec ces trafics auxquels ils sont "accoutumés".

Mais "on ne les subit pas", assure-t-il, brossant le portrait de jeunes trafiquants "plutôt bienveillants" avec les riverains. "On a un problème d'éducation. Il faut qu'à un moment, on obéisse à une autorité, pour le bien de tous", souligne-t-il.

- "Justice pour nos frères" -

Accoudée à sa fenêtre donnant sur l'autoroute qui longe l'ouest de Mistral, "Juju", une habitante d'origine congolaise qui y réside depuis neuf ans, discute des événements avec un voisin.

Leur immeuble est bordé par une rangée d'arbres et un mur qui n'empêchent pas le bruit des moteurs de venir siffler aux oreilles des locataires de ces logements sociaux. Sur les murs, des tags récents réclament "justice pour nos frères" ou "aucune pitié pour les policiers".

Lundi soir, la jeune femme a vu les flammes des voitures brûlées flirter avec ses fenêtres et la fumée envahir les halls d'immeubles. Pour elle, le visage du quartier a changé "il y a cinq ou six ans".

"Aujourd'hui, tout est visible", témoigne-t-elle, pointant les trafics qui s'opèrent au grand jour dans les immenses tours voisines. "Le jour, ça va, c'est calme. Mais la nuit...".

À quelques encablures des barres d'immeubles, se dresse le collège Aimé-Césaire, fréquenté par 560 élèves dont 30% d'enfants issus de Mistral.

Construit à sa périphérie pour accueillir ceux des secteurs voisins et favoriser la mixité sociale, l'établissement est "une respiration" pour les jeunes de ce "territoire tenu" par des trafics qui "alimentent tout Grenoble", racontent deux employés du collège.

"Les gens vivent cloîtrés et ne sortent pas le soir", ajoutent-ils, déplorant que la police n'y pénètre vraiment que pour "mener des opérations" contre les réseaux de trafiquants.

L'onde de choc provoquée par la mort des deux jeunes s'est propagée dans les salles de classe. "On les a écoutés. La plupart étaient choqués et avaient peu dormi à cause des émeutes", décrivent-ils, pointant l'influence néfaste des réseaux sociaux dans leur lecture du drame.

Le maire Éric Piolle reconnaît une "désaffiliation forte" des habitants du Mistral, mais mardi il affirmait avant tout souhaiter "préserver chacun de drames supplémentaires".

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