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Dans l'ombre, le renseignement pénitentiaire change de dimension

Ils scrutent les moindres signes de menace au sein des prisons. Ces agents appartiennent au renseignement pénitentiaire, un service chargé de détecter la radicalisation comme les risques d'évasion qui se structure et recrute.

"Zone protégée". Pour pénétrer dans leurs bureaux, situés derrière une épaisse porte blindée, il faut montrer patte blanche.

Devant des écrans alignés sur deux rangées, l'un des agents de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (CIRP) de Lyon, prénommé Rémi*, s'attèle à un "travail de l'ombre".

Il scrute internet et les réseaux sociaux, tentant de suivre les détenus. Les jeunes utilisant plutôt Snapchat quand leurs aînés continuent de surfer sur Facebook. Et contrairement à un cyber-agent, il n'exploite que des sources ouvertes.

Sont-ils les "grandes oreilles" des prisons ? "Je voudrais tordre le cou au fantasme du +on écoute tout le monde", lance d'emblée Mickaël, chef adjoint de la CIRP.

Pour qu'une "technique intrusive" soit mise en place, un long chemin de validations doit être parcouru jusqu'aux services du Premier ministre.

C'est aussi une question de moyens: "dès qu'on branche un téléphone, je perds un agent qui ne fait rien d'autre puisqu'une heure d'écoute correspond à plusieurs heures de retranscription, le coût est phénoménal pour un petit service comme le nôtre" constitué d'une quinzaine de personnes pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, explique le responsable.

"La première source d'information, c'est l'humain. La technique ne viendra que confirmer", ajoute-t-il.

L'humain, c'est notamment les délégués présents dans chaque établissement, dont la mission de renseignement est potentiellement connue des détenus. L'anonymat en prison est une gageure, mais "l'objectif est de la faire oublier".

Oubliés aussi les "agents infiltrés" dans un milieu aussi contraint que la détention, où "tout ce qui perturbe la routine est visible", balaie Mickaël.

- "Montée en compétences" -

A Lyon, le service comprend des traducteurs en langue arabe, chargés d'"analyser les orientations religieuses" et de détecter des signes de radicalisation à partir de livres saisis en cellule, de CD de chants religieux ou de conversations enregistrées. Une tâche ardue tant ces signes sont "implicites", confie Amel, une traductrice.

Le but est "d'évaluer le niveau de menace" des détenus, que ce soit pour un risque d'évasion ou d'organisation de troubles collectifs, le niveau de radicalisation ou un impact sur l'extérieur en terme de criminalité, énonce Mickaël.

Né officiellement en 1981 après la grande évasion de Fleury- Mérogis par hélicoptère qui avait donné lieu à une première collaboration avec le ministère de l'Intérieur, le renseignement pénitentiaire n'est organisé en tant que service que depuis le 1er février 2017.

Depuis l'entrée en vigueur lundi de l'arrêté du 29 mai 2019, le renseignement pénitentiaire, dénommé désormais "Service national du renseignement pénitentiaire" (SNRP), est réorganisé sous la forme d’un service à compétence nationale, directement rattaché au directeur de l’administration pénitentiaire.

"Ce changement de statut entérine le mouvement combiné de montée en compétences et de légitimation du renseignement pénitentiaire", souligne la direction de l'Administration pénitentiaire, en précisant que plus de 100 agents supplémentaires auront été recrutés entre 2018 et 2020. A ce jour, ils sont environ 300.

Répartis entre les trois échelons, en administration centrale, en cellule interrégionale et au niveau local, ils assurent le suivi de plus de 2.500 des quelques 72.000 détenus de France.

Plus de 500 d'entre eux sont incarcérés pour des faits de terrorisme islamiste, 500 autres sont suivis en lien avec de la criminalité organisée et la sécurité pénitentiaire, et environ 900 personnes, détenues pour des faits de droit commun, font l'objet d'un suivi pour radicalisation.

Le but est "d'éviter les trous dans la raquette" au cours de la détention. Ainsi, un des "produits-phare" du SNRP est la "note de signalement de fin d'incarcération", transmise aux services qui assureront le suivi après la détention et qui comporte une évaluation de la dangerosité de l'individu, s'il est radicalisé ou pas.

Outre la prévention des évasions, "le volet terrorisme est celui qui nous demande le plus d'investissement et on doit être à la hauteur", assure le responsable de la CIRP.

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