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Syrie: pour Macron, une question de crédibilité et d'entente avec Washington

Le président français Emmanuel Macron a plusieurs raisons de riposter militairement à une attaque chimique présumée en Syrie: il y va de sa crédibilité en matière de "lignes rouges" et de sa "bonne entente" avec Donald Trump sur le nucléaire iranien, estiment des experts.

Le chef de l’État, qui ne laisse guère planer de doutes sur ses intentions, endosserait ainsi pour la première fois ses habits de chef de guerre pour ordonner une opération, après avoir hérité de celles contre les jihadistes au Levant (Chammal) et au Sahel (Barkhane).

La France doit annoncer sa réponse à l'attaque dans "les prochains jours", en coordination avec ses partenaires américain et britannique, a-t-il dit mardi, envisageant ouvertement de "s'attaquer aux capacités chimiques détenues par le régime" syrien.

Pour nombre d'experts, Emmanuel Macron n'a guère d'autre issue s'il s'en tient à l'énoncé de ses "lignes rouges" sur la Syrie. En résumé, selon cette doctrine, la France procèdera à des frappes dès lors qu'une attaque chimique présente un caractère "létal" et que la responsabilité du régime est "avérée".

"A la différence des incidents présumés ou réels qui se sont déroulés ces derniers mois, ce qui s'est passé samedi à la Douma est une violation massive et manifeste des lignes rouges occidentales", estime Bruno Tertrais, expert à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

"Si la France ne réagissait pas alors que les critères sont remplis, nous perdrions toute crédibilité", affirme-t-il sans détours.

- "Mains liées" -

Selon les Casques Blancs (secouristes en zones rebelles) et l'ONG médicale Syrian American Medical Society, plus de 40 personnes ont été tuées samedi dans ce dernier bastion rebelle dans la Ghouta orientale, aux portes de Damas.

"Avec sa déclaration répétée sur les +lignes rouges+, Emmanuel Macron a choisi de se lier les mains. Il se retrouve dans la situation d'Obama en 2013 et s'il choisit de ne pas respecter cette contrainte, il aura un prix politique à payer", renchérit François Heisbourg, président de l'Institut international des études stratégiques (IISS) de Londres.

En août 2013, Barack Obama avait renoncé à la dernière minute à frapper le régime syrien après une attaque similaire. "Dès lors, de Poutine à Xi Jinping en passant par Netanyahu, plus personne ne l'a pris au sérieux", rappelle-t-il.

La France, théâtre du premier emploi de masse d'armes chimiques dans l'histoire militaire en 1915, est aussi en première ligne dans la lutte contre la dissémination d'armes chimiques et s'inquiète du précédent que pourrait constituer la Syrie.

- "Beaucoup à gagner" -

A la veille d'une visite d’État à Washington le 24 avril, Emmanuel Macron a enfin "beaucoup à gagner" de frappes éventuelles en termes d'image auprès de Donald Trump, estime Benjamin Haddad, chercheur au Hudson Institute à Washington.

"Les deux présidents ont construit une relation personnelle forte", souligne-t-il dans la revue Foreign Policy. Donald Trump ne tarit pas d'éloges sur son jeune homologue depuis sa visite en grande pompe à Paris le 14 juillet 2017 à l'occasion de la Fête nationale française.

Mais de l'accord sur le climat au conflit israélo-palestinien, cette bonne relation, aux antipodes de celle que Donald Trump entretient avec la chancelière allemande Angela Merkel, ne s'est pas jusqu'ici traduite par des "résultats concrets", note-t-il.

A Washington, Emmanuel Macron pourrait tenir sa victoire s'il convainc le président américain de rester dans l'accord nucléaire iranien, dont la remise en cause pourrait ébranler tout le Moyen-Orient.

Le couperet américain sur l'accord pourrait tomber le 12 mai. Donald Trump décidera alors une nouvelle fois s'il réintroduit ou non des sanctions contre l'Iran, au risque de faire voler en éclats le texte censé empêcher Téhéran de se doter de l'arme nucléaire.

"Au PMU (pari hippique, ndlr) des relations internationales, on est quand même à 20 contre un" sur les chances de sauver l'accord, estime François Heisbourg. Dans un tel contexte, "une démonstration d'unité franco-américaine sur la Syrie ne peut pas faire de mal" lors de la visite à Washington, renchérit-t-il.

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