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Farah va aux urgences à Bruxelles, ATTEND 10 HEURES, et repart sans avoir été examinée, dit-elle

La jeune Bruxelloise de 21 ans s'est rendue aux urgences vers 17h30 pour en ressortir à 3h30, sans avoir pu être auscultée. Au final, elle ne souffrait "que" d'une grippe. Son cas illustre une problématique connue: la pénurie des médecins urgentistes et les difficultés liées au métier.

"Il est 3h50. Je reviens des urgences sans avoir consulté un seul médecin. Ce n'est pas pardonnable!" écrit Farah via le bouton orange Alertez-nous. La jeune jeune Bruxelloise, n'est pas près d'oublier son passage à l'hôpital CHU Brugmann (site Horta) à Laeken. Ce jour-là, cette étudiante de 21 ans se sent mal : "Je n'arrivais pas à parler. Je n'arrivais pas à dire un seul mot. J'avais très mal à la tête, des crampes au dos, etc. Je pensais avoir une méningite. C'était très grave", se rappelle-t-elle.

Je n'avais encore jamais vécu cela

Face à ces sensations physiques pénibles, elle décide de se rendre au service des urgences du CHU Brugmann, site Horta. Elle précise qu'il était 17h30 au moment de son arrivée. "Une heure après, j'ai eu un contact avec une infirmière pour examiner mon état d'urgence. Elle a pris notes de mes paramètres. Ensuite, je me suis retrouvée à patienter." L'attente va durer plusieurs heures. Selon elle, il est 2h du matin quand le corps médical refait son apparition. On l'invite à se déplacer dans une pièce où un médecin ne devrait pas tarder à venir la consulter. Une heure et demie plus tard, toujours rien. C'en en est trop pour Farah. Agacée par la lenteur, elle décide de quitter les lieux sur le champ. "On m'a donné de l'espoir en me disant qu'un médecin allait arriver." Il est 3h30 du matin, elle appelle un taxi pour regagner son domicile. "J'ai attendu dix heures au service des urgences. Je n'ai pas vu un seul médecin. J'ai l'habitude d'y aller car j'ai une petite santé, mais je n'avais encore jamais vécu cela."

Au total, Farah serait donc restée 10h aux urgences du CHU Brugmann sans avoir pu bénéficier de la moindre consultation médicale complète. Le lendemain, son état de santé s'est amélioré, elle ne souffrait "que" d'une grippe nous dit-elle.


3 médecins pour 40 patients ?

D'après Farah, l'un des infirmiers lui a confié durant son moment sur place que seulement trois médecins étaient en service pour les 40 patients à traiter ce soir-là. "Trois médecins aux urgences pour autant de patients. Je n'ai jamais entendu cela. C'est inadmissible. Je ne comprends pas." Farah enchaîne : "'Madame la ministre de la Santé doit changer ses réformes', m'a dit une des membres du personnel".


Temps du premier contact et temps de l'enregistrement dans l'ordinateur

Alors, dix heures d'attente comme le prétend Farah, est-ce possible? Cela arrive-t-il régulièrement ? Les direction du CHU Brugmann observent: "Dans l’éventualité où la patiente aurait effectivement attendu 10 heures avant le 1er contact médical, il s’agit alors d’un cas exceptionnel. Le 1er contact médical a normalement lieu moins de 4h après l’inscription du patient - pour les cas non urgents bien évidemment." Elle poursuit avec une précision de taille : "Le temps du 1er contact médical avec le patient est excessivement difficile à obtenir de manière précise, ceci est notamment dû au fait que les enregistrements sont pris au moment où le médecin encode des actes ou des prescriptions dans le dossier médical informatique et non au moment où le médecin interroge et examine le patient. En période de charge importante du service, le médecin prend en charge plusieurs patients avant d’écrire dans le dossier médical informatique."

D'après les chiffres de recensement de l'hôpital, le nombre de patients varie entre 85 et 130 patients par jour sur le site Horta. En ce qui concerne le nombre de médecins présents le soir des faits, difficile d'obtenir un chiffre précis: "Aux urgences, le nombre de médecins et d’infirmiers varie au cours des 24h. (...) Le fonctionnement se fait par shift.", précise simplement Le CHU Brugmann.

Le recrutement des médecins urgentistes est excessivement difficile

Un médecin urgentiste sur deux envisage de s'arrêter 

Le souci rencontré par Farah s'inscrit dans une problématique plus large et bien connue : la pénurie des médecins urgentistes dans notre pays. Un phénomène qui pourrait empirer puisqu'un médecin urgentiste sur deux envisage sérieusement de changer de métier, selon une enquête de l'association des médecins urgentistes de Belgique et l'Université de Gand réalisée fin 2015. L'épuisement physique et émotionnel, de même que le sentiment de devoir sacrifier sa vie sociale sont les principales raisons avancées. Quatre ans plus tard, c'est une réalité toujours d'actualité: "Le recrutement des médecins urgentistes est excessivement difficile. Nous rencontrons les mêmes problèmes que ceux décrits dans l'enquête", font savoir les directions du CHU Brugmann.


Des patients au mauvais endroit

Toujours d'après les résultats de cette enquête, les médecins urgentistes prestent 35% de leurs heures de nuit, et 25% pendant le weekend. Dans certains hôpitaux, la proportion passe à plus d'un shift sur deux dans ces horaires particuliers. Le manque de reconnaissance et un déséquilibre entre la vie privée et professionnelle font partie des autres difficultés du métier.

La surcharge administrative est aussi un élément pointé du doigt. Comme nous l'expliquait plus haut les directions du CHU Brugmann, les médecins urgentistes doivent encoder eux-mêmes "des actes ou des prescriptions dans le dossier médical informatique", ce qui retarde inévitablement la prise en charge médicale de certains cas.

À ces constatations, s'ajoute une autre réalité liée aux services d'urgence. Une grande partie des patients qui se rendent aux urgences d’un hôpital pourrait aussi bien être traité par un médecin généraliste. C'est une autre étude, réalisée cette fois-ci par le KCE - centre fédéral d'expertise des soins de santé - qui a mis en lumière cet élément. 


©KCE

Des permanences de médecine générale 24h/24

Le KCE préconisait d’héberger sur les sites hospitaliers, à côté des services d’urgence, "des permanences de médecine générale, ouvertes 24h/24 et 7jours/7". Ces permanences, qui seraient coordonnées par les cercles locaux de généralistes, "fonctionneraient de manière autonome par rapport à l’hôpital. Le service d’urgences et la permanence de médecine générale formeraient ensemble un ‘centre de soins aigus non planifiés’ avec une porte d’entrée unique, donnant accès à une zone de triage. Une équipe clinique spécifiquement formée à cet effet y recevrait les patients et les orienterait vers la permanence de médecine générale ou le service d’urgence, en fonction de leur situation médicale".

Ces permanences sont désormais une réalité dans certains hôpitaux. "De plus en plus de postes de garde sont ouverts aux côtés d’un service d’urgence", remarque Koen Van Den Heede, l’un des deux auteurs du rapport du KCE. Il cite en exemple le l'AZ Sint-Maarten à Malines qui a ouvert en décembre dernier un poste de garde de médecine généralisée dans la clinique et à proximité du service des urgences.


1733 : un numéro de téléphone unique pour appeler un médecin de garde

Fin 2017, la ministre de la Santé publique - Maggie De Block - disait travailler sur une série de mesures visant à soulager les médecins urgentistes. Elle indiquait également la mise sur pied d'un plan "soins non prévisibles". Il devait permettre une meilleure répartition des patients parmi les différents services en cas d'urgence. Les mesures annoncées devaient pousser les patients à se rediriger vers les médecins généralistes plutôt que vers les services d'urgence. Aujourd'hui, un peu moins de deux ans plus tard, où en est ce plan "soins non prévisibles" ?

Florent Baudweyns, porte-parole de la ministre Maggie De Block, informe: "La dernière mesure en date est l’adoption le jeudi 28 mars 2019 par la Chambre de la loi qualité. Dans cette loi sont notamment reprises des conditions permettant la généralisation à terme du numéro 1733 pour les appels vers le médecin généraliste de garde sur l’ensemble du territoire et l’instauration de postes médicaux de garde." Ces deux mesures doivent permettre d’une part un meilleur tri des patients et d’autre part de désengorger les services d’urgences des hôpitaux.

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