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Primes de la Région wallonne pour des travaux chez soi: pourquoi ont-elles autant de retard ?

Si un jour des chercheurs se penchent sur l'histoire des primes au logement accordées par la Région wallonne, ils s'arracheront les cheveux. Elles ont à peine le temps d'être mises en place qu'un nouveau gouvernement décide de les modifier/annuler/remplacer. Au final, c'est le demandeur qui en fait les frais, à cause des inévitables retards dans le traitement des nouveaux dossiers… et des anciens. Illustration avec l'histoire d'un jeune couple de Grez-Doiceau.

Depuis des années, le système des primes de la Région wallonne constitue une usine à gaz. Revues et corrigées régulièrement (voire supprimées entièrement pour les panneaux solaires après le fiasco des certificats verts), les primes sont devenues parfois complexes à identifier.

Et visiblement, c'est aussi le cas pour les obtenir. "Tous les travaux sont faits, on a tout payé, le dossier est rentré depuis 3 mois et on a aucune nouvelle. Et pas le moindre versement", nous a confié Nicolas via le bouton orange Alertez-nous. Ce délai de trois mois n'a rien d'extraordinaire (quoique…), mais notre témoin déclare avoir entendu au téléphone qu'il y avait de solides problèmes en interne.

Le traitement du cas de Nicolas nous donne l'occasion de revenir sur la nouvelle organisation des primes mise en place l'an dernier, et dont la période de démarrage parait compliquée.

Une villa à rénover entièrement: 135.000 euros de travaux

Pour Nicolas et Virginie, un couple de trentenaires avec un petit enfant, tout a commencé par un projet, il y a un an. "On a acheté une villa 4 façades à Grez-Doiceau (Brabant wallon). Nous avons dû faire beaucoup d'efforts et reçu l'aide de nos parents, car il fallait tout rénover", nous explique-t-il.

Montant total des travaux: "environ 135.000 euros".

Ayant entendu parler des nouvelles primes, le couple se renseigne. Le 'nouveau régime' a été introduit en juin 2019: il annule et remplace l'ancien régime. Il se base essentiellement sur la manière dont on peut mieux isoler une maison, l'assainir et/ou la chauffer plus efficacement, afin d'en réduire la facture énergétique.

Il existe une liste bien définie (à découvrir ici) de travaux ou d'investissements pour lesquels il existe des primes.

Nouveau régime de primes: avant tout, un "auditeur logement" à 1.100 euros

Nicolas apprend qu'il doit faire venir, avant le premier coup de pelle, et obligatoirement, un 'AUDITEUR LOGEMENT' agréé. Et la visite de ce dernier n'est pas gratuite : "La facture de l'auditeur que j'ai reçue était de 1.100 euros", rapporte Nicolas qui constate avec aigreur que "pour obtenir les primes de la région wallonne, il faut d'abord débourser de l'argent." Précisons d'emblée que ce montant est remboursé en partie plus tard. Nicolas a, par exemple, récupéré 600 euros.

La Région wallonne a imposé le passage de cet expert avant de recevoir les primes, pour s'assurer que les travaux aient du sens et qu'ils soient effectués dans le bon ordre (on parle de 'bouquets' de travaux). L'auditeur logement analyse l'ensemble de la maison, et sa 'qualité énergétique', mettant en avant certains problèmes (isolement, étanchéité, etc), puis proposant des solutions (des travaux, des achats de matériel). Voici la première page de l'audit de Nicolas :

Obligation de réaliser les travaux dans un certain ordre

Nicolas donne des détails. "Ça s'est très bien passé. Il est venu visiter la maison, il a fait ses calculs et une analyse complète: c'est nettement plus qu'un PEB (le certificat énergétique d'une maison, NDLR). Son rôle, c'est d'estimer ce qu'il y a à faire dans la maison, en termes de rénovation. On n'est pas obligé de tout faire, évidemment, c'est un avis. Il y a une chose contraignante: avec son logiciel et son expérience, il va nous dire que par rapport au coût, à l'investissement, au temps de rentabilité, il faut d'abord remplacer la toiture, puis les châssis, et puis les sols. Il 'prioritise' les différents postes, et chaque étape s'appelle un bouquet. On est obligé de finaliser un bouquet pour pouvoir demander une prime".

Cela peut poser des soucis. "On avait envie de remplacer les châssis d'abord puis d'attendre un peu avant de s'offrir un nouveau toit… Mais on ne pouvait pas, on n'aurait pas eu droit à la prime pour les châssis". Il pense aussi "aux familles qui auraient voulu faire les sols d'abord pour pouvoir emménager", mais qui doivent d'abord se payer un nouveau toit et des nouveaux châssis…

Une prime décroissante en fonction des revenus du foyer

Malgré tout, il reconnait qu'il y a "une certaine logique, un certain sens" dans l'ordre imposé. Sur le rapport final de l'audit sont également reprises les primes espérées. "L'auditeur calcule les primes que je peux recevoir, mais il y a un facteur social dans le nouveau régime de primes: un second calcul doit être effectué pour multiplier ces primes par 1, 2, 3, 4, 5 ou 6, en fonction des revenus et de la composition du ménage.

Les travaux se passent très bien, mais les primes n'arrivent pas

Nicolas et Virginie ont donc suivi un chantier durant près d'un an. Globalement, "les travaux se sont bien passés", même s'il y a eu "des dépenses supplémentaires". Arrive le jour de la fin des travaux, "on reçoit la facture finale, on emménage, ce n'est que du bonheur".

Notre témoin n'a pas rendu les factures les unes après les autres. "J'ai demandé le remboursement des trois bouquets (toit, châssis, sol) en une fois, car j'ai respecté l'ordre mais ils ont été effectués plus ou moins en même temps par mon entrepreneur. On ne peut pas lui demander de faire le toit, puis d'arrêter, puis de faire les châssis, puis d'arrêter, etc".

Le dossier de Nicolas est en ordre, y compris les photos des travaux, les factures par l'entrepreneur agréé, les données fiscales pour le coefficient de la prime, etc. "Tout est dans les mains de la Région wallonne. Je vais simplement deux fois à ma boîte aux lettres par jour, pour voir si j'ai des nouvelles, un courrier. Mais je n'ai rien reçu". Notre témoin a tout de même été remboursé en partie pour son audit, "j'ai reçu environ 600€ (sur les 1.100€ que ça lui a coûté)". Car oui, pour l'audit logement aussi, il y a une prime…

En 2019, les citoyens ont craint un nouveau régime moins attractif, il y a donc eu un afflux de dossiers

Un afflux de dossiers de "l'ancien régime": jusqu'à 9 mois de délai

Cela fait environ trois mois que Nicolas a déposé son dossier. "C'est un délai raisonnable si je venais à recevoir les primes prochainement, mais la dernière fois que j'ai appelé la Région wallonne, j'ai compris que ça ne serait pas pour tout de suite".

Effectivement, la dame au téléphone "était un peu plus bavarde que d'habitude" selon Nicolas. Elle lui aurait confié des choses étonnantes. "Elle m'a dit qu'il y avait des guerres internes, des problèmes de hiérarchie, et que certaines réformes n'étaient pas passées". Selon elle, "ça va prendre des semaines ou des mois" avant qu'il ne touche le moindre centime de prime.

Cette employée aurait même dit à Nicolas que jusqu'à présent, "aucune prime n'avait encore été versée".

Nous nous sommes donc logiquement tournés vers l'administration wallonne pour vérifier ces affirmations. Son porte-parole Nicolas Yernaux a démenti une guerre interne ou bien des problèmes de hiérarchie.

La réforme des primes a bien eu lieu mais un chevauchement malheureux s'est produit. "En 2019, les citoyens ont craint un nouveau régime moins attractif: il y a donc eu un afflux de dossiers. Le SPW (Service Public Wallonie) a respecté la règle du 'premier arrivé, premier servi', et a donc traité en priorité ces dossiers dépendant de l'ancien régime", donc introduits avant le 1er juin 2019, nous a expliqué le porte-parole.

Mais il y en a eu tellement que cela "a généré un important passif: le délai de traitement est passé de 3 à 9 mois ; mais actuellement, la situation revient à la normale pour ces dossiers de l'ancien régime". On parle donc bien là des demandes d'anciennes primes dont le premier formulaire (la demande initiale, qui s'accompagne ensuite de l'envoi de nombreux documents, factures, preuves, etc) a été déposé avant le 1er juin 2019. Ces demandes de primes de l'ancien régime ne se clôturent évidemment qu'après la fin des travaux (et il y a un délai d'envoi de 4 mois pour les derniers documents/factures). Ça explique en partie que certains dossiers de l'ancien régime soient encore en cours de traitement.

Le nouveau régime met du temps à démarrer pour deux raisons

1. Un temps d'adaptation de l'administration

Parallèlement, il y a donc le nouveau régime. Sa situation semble un peu floue: la Région parle d'un "système totalement différent de ce qui existait préalablement, plus complexe et nécessitant des compétences nouvelles à acquérir: un tel changement nécessite un temps d'adaptation pour parvenir à un fonctionnement optimal". Elle reconnait donc, sans le dire, que les procédures de traitement des nouveaux dossiers doivent encore être huilées…

2. Les cas particuliers

De plus, la Région évoque une "jurisprudence" qui a dû être constituée, car les règles de ces nouvelles primes "ne pouvaient pas prévoir tous les cas particuliers". La jurisprudence est un terme employé en droit pour dire que la loi de base est enrichie/complétée par l'expérience et l'historique des décisions de justice.

"Si la législation relative aux primes travaux fixe le cadre de subventionnement, c’est l’accumulation des cas qui concrètement permet d’établir les règles d’usage, permettant des conditions égales entre chaque demandeur de liquidation des primes. Cela a pris un peu de temps pour définir et analyser les points de jurisprudence à trancher", précise le porte-parole.

Par exemple, dans le cas "de la rehausse d'une toiture, de la modification de la taille d'une baie vitrée, des annexes latérales", les primes sont-elles valables ? La Région débat en interne, tranche, et puis ça rentre dans le règlement sous forme de jurisprudence. "Le fait que l’administration prenne le temps de réfléchir à ces cas particuliers est généralement pour permettre au plus grand nombre de bénéficier de primes et donc d’éviter de refuser systématiquement sans analyse préalable", conclut le porte-parole.

Enfin, évoquons l'état d'avancement des demandes de primes du nouveau régime. Contrairement à ce qu'a pu entendre Nicolas, "actuellement, près de 20% des dossiers ont été traités", nous dit la Région. C'est donc une question de semaines (mois ?) avant que notre témoin ne reçoive sa prime, "quelques milliers d'euros", espère-t-il.

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