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Rap et football, une histoire d'amour de plus de 20 ans

"J'ai le Ballon d'Or, le micro d'or, le Soulier d'or et des disques d'or": en 1996, Doc Gynéco filait déjà la métaphore entre hip-hop et football dans "Passement de jambes", un des morceaux fondateurs de l'histoire d'amour toujours plus vivace entre les deux disciplines, deux décennies plus tard.

En rang d'oignons, avec le polo des Bleus sur le dos et la main sur le coeur, la bande de Jean-Kévin Augustin est prête pour entonner son chant de ralliement. La Marseillaise? Non, l'hymne officieux de l'équipe de France des moins de 19 ans lors de son épopée victorieuse de l'Euro-2016: "92i Veyron", un morceau de la star du rap Booba.

"Les passerelles entre foot et rap sont naturelles. C'est le même public, c'est la même 'vibe'", explique à l'AFP Olivier Cachin, critique musical et spécialiste de rap.

"C'est le milieu urbain en fait! La plupart des joueurs de foot sont des gens qui ont grandi dans des quartiers. Nous les rappeurs, on a tous voulu être des footballeurs donc ça se rejoint facilement", confirme à l'AFP le rappeur Gradur.

Depuis les années 90, les liens entre les deux univers n'ont cessé de se resserrer, de l'amitié affichée entre Booba et Karim Benzema au fameux slogan "Paris c'est la 'Champions League'" du rappeur MHD.

"Dès que je suis dans une ville (en tournée) d'un ami qui est footballeur, je lui dis: 'je fais un concert ce soir, si tu veux passer t'es le bienvenu'. Pareil pour lui, dès qu'il me voit dans sa ville: 'tiens, il y a un match ce soir, viens je t'invite'", raconte MHD à l'AFP.

Virtuosité, "punchlines" et "beau geste"

Certains ont même droit à un morceau à leur nom comme le milieu de terrain Sofiane Feghouli dans le dernier album du rappeur Kaaris, "Dozo". "C'est un honneur! Je ne m'y attendais pas. Cela m'a fait très plaisir", témoigne le joueur de Galatasaray auprès de l'AFP. "C'est quelqu'un du même département que moi, j'ai grandi à Saint-Ouen, lui à Sevran. Il m'avait envoyé un message pour me prévenir. J'étais vraiment très content!".

Des origines sociales souvent proches, une musique générationnelle, mais aussi un goût partagé pour la virtuosité. "Pour le beau geste dans le foot et le bon mot dans le rap", souligne Jesse Adang, réalisateur du documentaire "Ballon sur bitume", consacré au "street-football" qui rassemble rappeurs et footballeurs dans leurs quartiers d'enfance en banlieue parisienne.

"Les gens, ils écoutent un mec rapper, ils entendent une belle phrase, ils vont devenir fous. C'est pareil pour un mec qui est sur le terrain et fait un beau geste technique", insiste-t-il.

Le sociologue Cyril Nazareth a sillonné les terrains de Seine-Saint-Denis pendant quatre ans pour des travaux consacrés à la socialisation des jeunes via le football. Les références au rap étaient régulières chez les joueurs de 13 à 19 ans qu'il interrogeait: "Ce sont des valeurs de réussite auxquelles ils s'identifiaient, sachant que dans leurs quartiers, il y a souvent des petits producteurs de son, des studios qui sont accessibles".

Sponsors et intérêts "gagnant-gagnant"

La culture du duel, "de la virilité" de l'opposition entre deux styles de joueurs ou de rappeurs, fait partie intégrante des deux disciplines. "Les clashes, les battles, les punchlines, c'est le parallèle symbolique qu'on peut faire", analyse-t-il.

Les proximités entre rap et foot suscitent d'ailleurs bien souvent des critiques, du cliché sur la culture "racaille" ou "bling-bling" aux reproches sur l'individualisme à tout crin, symbolisé par le fameux casque porté sur les oreilles avant d'entrer sur la pelouse.

Mais Cyril Nazareth se souvient que les "figures d'ascension sociale les plus valorisées" sont des joueurs comme "N'Golo Kanté et Riyad Mahrez, parce qu'ils partaient de très bas et ont réussi à la sueur de leurs fronts".

Pour les rappeurs et les footballeurs professionnels, la mise en scène de leurs amitiés est aussi une affaire d'intérêts bien compris, d'un calcul "gagnant-gagnant" à l'heure des réseaux sociaux.

"Le sportif, il va dire je porte les marques de mecs de rue et le rappeur va dire, regardez les footeux, ils portent mes sapes...", atteste Jesse Adang.

De Benzema aux joueurs du PSG, plusieurs stars du foot se montrent en Unkut, la marque de vêtements lancée par Booba. Et en Ligue 1, Montpellier a même un temps été sponsorisé par Wati B... un label de rap!

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