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Après un long combat, victoire en vue sur l'avortement pour la droite chrétienne américaine

Le projet de décision de la Cour suprême revenant sur le droit à l'avortement marque une victoire triomphale pour la droite chrétienne, après 50 ans de combat pour ancrer leurs idées au centre de la politique américaine.

Au coeur des "guerres culturelles" sur le féminisme, les questions raciales, la laïcité et les droits LGBTQ, leur campagne a décollé quand les catholiques et les protestants évangéliques ont uni leurs forces contre l'arrêt historique "Roe v. Wade", qui garantit depuis 1973 le droit des femmes à l'avortement.

L'alliance, d'abord faible par rapport au mouvement progressiste, s'est ensuite développée jusqu'à atteindre le statut de poids lourd de la politique locale et nationale.

Avec en point d'orgue la nomination par Donald Trump - pas classé parmi les opposants à l'avortement avant d'être candidat à la Maison Blanche en 2016 - de trois juges conservateurs à la Cour suprême.

"Roe v. Wade a été décidé y a 50 ans, et la droite a immédiatement cherché à résister et a lancé une énorme riposte", explique Katherine Franke, professeure à l'école de droit de l'université Columbia.

Leur succès éclatant à la Cour suprême représente, selon elle, un "recul radical" de trois générations de droit constitutionnel.

- Test décisif -

Russell Moore, théologien à Christianity Today et militant chrétien évangélique, se souvient que l'avortement n'était pas une question politique partisane dans les années 1970.

A l'époque, "beaucoup de soutiens de Roe pensaient que les mouvements +pro-vie+ (opposés au droit à l'avortement, NDLR) allaient simplement disparaître", dit-il.

Les catholiques et les évangéliques, créant des lobbys très médiatiques, ont diffusé leur message dans les églises.

Des financements importants leur ont permis de soutenir des candidats opposés à l'avortement, gagnant progressivement en puissance.

En amont de l'arrivée à la présidence de Ronald Reagan en 1981, l'avortement est devenu une pièce maîtresse des politiques conservatrices, et était vu comme un critère déterminant pour tout républicain cherchant à être investi.

Selon Russell Moore, le mouvement anti-avortement a aussi bénéficié des avancées dans la technologie médicale, et notamment en matière de soins aux prématurés, avançant le stade de "viabilité" d'un foetus en-dehors de l'utérus, et modifiant ainsi selon les opinions sur les conséquences de l'avortement.

En outre, avec l'avènement des échographies qui permettent aux familles de voir leur bébé dans le ventre, "il devient très difficile de parler de l'enfant à naître comme simplement d'un tas de tissus ou de collection de cellules", affirme-t-il.

- Opus Dei -

En parallèle du mouvement populaire, les militants anti-avortement ont bâti une force politique au sein de Washington, centre névralgique du pouvoir aux Etats-Unis, avec pour objectif à long terme de disposer de leurs propres juges à la Cour suprême.

"Dès le début, les gens ont compris que cela devrait se régler par le système judiciaire", assure Russell Moore.

Au centre de cette campagne, figurait Leonard Leo, un ancien assistant juridique du juge le plus conservateur à la Cour suprême, Clarence Thomas, et un personnage important dans l'organisation catholique Opus Dei, discrète mais très influente à Washington.

A partir de la fin des années 1990, Leonard Leo a construit un réseau étendant son influence au long terme sur le système judiciaire américain. Opérant depuis la puissante organisation Federalist Society, il a au passage levé des dizaines de millions de dollars.

Selon le Washington Post, Leonard Leo a eu une influence cruciale sur la présidence de George W. Bush au début des années 2000, et particulièrement lors des campagnes pour promouvoir les deux nominations du président républicain à la Cour suprême: Samuel Alito, l'auteur de l'opinion qui a fuité, et le chef de l'institution, John Roberts, qui serait selon toute vraisemblance du côté des juges progressistes contre la fin de l'arrêt Roe v. Wade.

L'un des contacts-clés de Leonard Leo à la Maison Blanche était Brett Kavanaugh, aujourd'hui l'un des quatre autres juges de la Cour suprême qui soutiendrait la position de Samuel Alito.

- Liste de candidats -

Les sondages montrent depuis des années qu'une importante majorité d'Américains soutiennent le droit à l'avortement.

Mais, en 2016, le mouvement anti-avortement était suffisamment puissant pour jouer les faiseurs de roi de la campagne présidentielle de Donald Trump.

Jamais particulièrement religieux ou opposé à l'avortement, Donald Trump a activement courtisé les responsables évangéliques et, en obtenant leur bénédiction, a commencé à condamner l'avortement.

Le milliardaire a choisi Mike Pence pour être son vice-président, lui-même un chrétien évangélique qui en tant que gouverneur de l'Indiana a mis en place des restrictions très fortes sur l'avortement.

Donald Trump avait même annoncé une liste de possibles candidats à la Cour suprême, les noms ayant été fournis par Leonard Leo.

Cela a permis de faire basculer l'élection, près de 80% des chrétiens évangéliques soutenant ainsi Donald Trump malgré des scandales répétés dans sa vie privée.

La fin annoncée de Roe v. Wade marque le succès d'une bataille politique de cinq décennies pour le mouvement chrétien évangélique anti-avortement.

Mais, selon Russell Moore, "la plupart d'entre nous comprennent que cela ne représente pas la fin du combat, mais une nouvelle phase".

Les évangéliques ont désormais un nouvel objectif: rendre l'avortement illégal par les parlements des 50 Etats américains.

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