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Ils ont appris avec effroi le tir fatal d'Alec Baldwin: les armuriers de cinéma, chargés de fournir et sécuriser les armes en tout genre sur les tournages, font un métier rare où ils n'ont pas le droit à l'erreur.
Kalachnikov, mitrailleuses de la première guerre mondiale, armes automatiques dernier cri... Dans sa chambre forte de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), derrière deux portes blindées, Christophe Maratier stocke des centaines d'armes vues ces dernières décennies dans des films français et étrangers.
Un trésor qu'il manipule avec précaution, autour d'une table de préparation où chaque arme est contrôlée: "c'est un métier anxiogène, on met toute notre énergie dans la sécurité pour éviter l'accident", témoigne celui qui se dit choqué et endeuillé par l'incident tragique au Nouveau-Mexique, qui a causé la mort d'une directrice de la photographie.
Le quinquagénaire, qui travaille actuellement sur le dernier John Wick, tourné à Paris avec Keanu Reeves, et sur l'adaptation des "Trois Mousquetaires" avec Vincent Cassel, est l'un des rares spécialistes de ce métier en France, et connaît bien les pratiques, globalement comparables, en vigueur dans la plupart des pays développés.
En France, "seules les armes qui ne permettent pas le tir de projectile" sont autorisées sur les tournages, selon la règlementation en vigueur. Les armuriers les modifient donc pour que l'on ne puisse pas tirer de vraie balle.
Si certains plans, où l'arme fait partie du décor ou doit par exemple être jetée dans l'eau, sont tournées avec des répliques en plastique, les tournages restent friands de vrais détonations, par souci de réalisme.
Conseils à De Niro
Les réalisateurs "ont besoin d'armes réelles qui font de jolies flammes", résume Christophe Maratier. Et pour "donner au spectateur l'illusion qu'il y a un tir", rien de mieux qu'une balle à blanc, c'est-à-dire une réserve de poudre qui va exploser, sans projectile.
Comme deux précautions valent mieux qu'une, "on ne vise jamais une personne", et il n'y a pas non plus de tirs à bout portant.
Autant de règles dont s'assure l'armurier, qui doit systématiquement être présent sur le plateau - et s'occuper personnellement du chargement et du déchargement des armes, opération délicate.
A charge aussi pour lui d'expliquer le maniement de l'arme aux acteurs, comme il raconte avoir pu le faire avec Robert de Niro - avide de conseils, à sa grande surprise !
"De la kermesse"
La hantise de l'armurier, c'est l'erreur bête: le morceau de caillou qui sera rentré dans l'arme lorsqu'un figurant l'aura laissée par terre, la bille introduite par erreur dans le canon et projetée lors du tir à blanc...
Risque de surdité (la déflagration peut atteindre 150 db), de blessures aux yeux, de brûlures ou d'intoxication par les gaz doivent être pris en compte, prescrit l'instance chargée de la sécurité des tournages, le CCHSCT de la production cinématographique.
Malgré tout, de nombreux réalisateurs considèrent que les balles à blanc restent irremplaçables pour "donner l'illusion qu'il y a un tir", souligne Christophe Maratier, dont les armes vont d'antiquités rares dégotées chez des collectionneurs aux équipements des forces spéciales.
"On fait du spectacle", affirme-t-il, expliquant que les tirs sont par exemple souvent réglés pour faire beaucoup plus de flammes qu'ils n'en font dans la "vie réelle".
Mais les temps sont peut-être en train de changer.
A l'autre bout de la France, Michael Gojon-dit-Martin, autre fournisseur d'armes de cinéma, installé à Strasbourg, souhaiterait recourir plus souvent à de fausses armes, avec des effets spéciaux pour mimer le tir.
"Des munitions à blanc peuvent être létales à moins d'un mètre", avec une forte chaleur émise par l'explosion et la projection éventuelle de débris, souligne-t-il.
"Avec les technologies actuelles, on n'a presque plus besoin d'avoir des armes fonctionnelles", affirme-t-il: "on en utilise de moins en moins, c'est dangereux et pas pratique".