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"Carnets de profs": violences à la maison, impuissance des profs pas formés

Depuis des années, de nombreux profs le disent: ils sont "en première ligne". En première ligne et parfois démunis, dans leur salle de classe, pour assurer leur mission. Surtout lorsqu'ils découvrent des vies d'élèves brisées, victimes de sévices chez eux.

Pour cette sixième édition des "Carnets de profs", quatre enseignants font part de leur sentiment d'impuissance face à un problème quotidien de violences, et notamment sexuelles.

- "Aveuglement" -

Philippe, 54 ans, enseigne l'histoire-géographie dans un village du Puy-de-Dôme:

"C'était l'an dernier avec une élève que je voyais en difficulté scolaire et de plus en plus absente sans raison médicale. Tout à coup, la CPE a été mise au courant qu'elle subissait des violences sexuelles. Je ne soupçonnais rien.

J'ai appris sa situation au détour d'une conversation de récréation et il n'y a pas eu de réunion de l'équipe pédagogique.

Je ne demande pas à être tenu au courant rapidement quand un adolescent est victime de violences sexuelles, mais je crois qu'il faut pas que la direction de l'établissement pratique une sorte d'omerta.

Le cas de violences familiales pour lequel je m'en veux le plus remonte à vingt ans. J'ai eu une élève pendant trois ans et, jamais, je ne me suis aperçu qu'à la maison c'était l'enfer pour elle. Je ne l'ai appris que plus tard, quand elle a écrit un livre.

Je savais qu'elle consacrait beaucoup de temps à la maison à une pratique musicale mais ce que je ne savais pas, c'était la pression démesurée de son père. J'accepte totalement le reproche d'aveuglement qu'elle a fait à ses enseignants."

- "Coup de poing au visage" -

Céline, 45 ans, professeure d'histoire-géographie dans un collège REP+ dans le Haut-Rhin:

"Des collègues qui constatent des violences, ce n'est pas notre quotidien, mais presque…

Il peut arriver qu'un élève décroche d'un seul coup. On va le signaler. Mais pour des élèves déjà en difficulté, ce sera plus difficile à voir. Et puis un décrochage soudain peut être dû à d'autres causes, comme une crise d'adolescence carabinée.

Une fois j'ai fait un signalement (pour inceste). Une jeune fille qui était agressive, avait pris du poids, des signes auxquels, par mes lectures, j'ai été sensibilisée. Après, j'ai quitté cette académie et je ne sais pas ce qu'il est advenu d'elle.

J'ai aussi assisté à un entretien avec ma principale adjointe, le père était là avec son fils. La principale adjointe explique les faits, et tout à coup, le père a mis un coup de poing dans le visage de son fils ! J'étais très choquée.

Une telle violence est contre-productive, elle n'empêche pas de faire des bêtises. D'ailleurs, cela nous a mis dans une situation délicate : chaque fois que l'enfant faisait une bêtise, on se demandait s'il fallait appeler ses parents."

- "Tête rasée" -

Camille, 39 ans, enseigne l'histoire-géographie dans un collège classé REP+ des Yvelines:

"J'ai eu le cas d'un élève de 5e qui ne voulait pas retirer sa capuche en classe. J'ai insisté pour qu'il applique le règlement et se découvre, mais même ses camarades ont plaidé en sa faveur car il avait la tête rasée.

Ils m'ont expliqué que c'était une punition de son père, visant à l'humilier car chacun savait ainsi qu'il avait fait une bêtise.

Lorsque j'explique à mes élèves qu'il est interdit de toucher à l'intégrité du corps de l'autre, certains me répondent que leurs parents ont le droit de les violenter pour les punir. Ils me précisent qu'ils préfèrent les coups à se faire disputer, car les coups passent vite alors que les mots restent."

- "Je ne souhaiterais pas savoir" -

Marie, 44 ans, professeure de français dont le prénom a été modifié, exerce en Ille-et-Vilaine:

"Je n'ai pas eu connaissance (de cas d'incestes) et je ne souhaiterais pas d'ailleurs le savoir.

Bien sûr, on voit tous les jours des élèves qui arrivent pas douchés, qui ne sentent pas bon, qui ne mangent pas à leur faim, des élèves qui subissent des violences physiques, des parents qui se déchirent et qui déchirent le gamin en question, on a de tout.

Mais je n'ai pas l'impression que cela soit mon métier de gérer ce genre de choses. Je ne me trouve pas très outillée. Quand je m'aperçois d'un problème dans ma classe, je le signale, c'est la moindre des choses. Mais au-delà, je ne cherche pas à creuser."

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