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En Roumanie, la fillette rom qui a triomphé de la stigmatisation

Un masque de corbeau lourd en symboles et une question lancinante: que faire pour échapper à la stigmatisation? Une actrice rom porte sur scène sa vie, celle d'une fillette aux prises avec le racisme, qui "réussit" envers et contre tout.

"C'est la première fois qu'une histoire rom, écrite, mise en scène et interprétée par une artiste rom, est accueillie par une scène nationale" roumaine, souligne Alina Serban, 34 ans, dans un entretien à l'AFP.

La Roumanie, l'un des pays les plus pauvres de l'UE, compte la plus importante minorité rom d'Europe, forte d'environ deux millions de personnes, selon les ONG.

Officiellement, ils ne sont cependant que 621.000 sur une population de 19 millions, car beaucoup rechignent à se déclarer comme tels par crainte de la discrimination.

La bouillonnante artiste, elle, brandit son identité haut et fort devant le public du Théâtre national de Bucarest.

Sa pièce intitulée "Le meilleur enfant au monde", qui se joue depuis le 21 janvier à guichets fermés, est le récit émouvant, parsemé d'humour, d'une jeune fille "triomphante bien que vouée à l'échec", dit-elle entre deux répétitions.

- Sortir de la "crasse" -

Alina Serban découvre qu'elle est rom à neuf ans, lorsqu'elle et ses parents, acculés par des difficultés financières, doivent déménager.

Elle quitte un quartier ouvrier de Bucarest où elle est bien intégrée pour habiter dans une maison en torchis sans eau courante, aux côtés de tantes et oncles illettrés, personnages truculents.

A l'école, elle entendra pour la première fois une réplique qui la hantera à jamais: "Elle n'est pas roumaine, elle est tsigane".

Péjoratif en roumain, le mot "tsigane" est souvent remplacé par "corneille", une étiquette qui colle à la peau comme ce masque aux plumes noires dont elle n'arrive pas à se défaire.

Lasse de devoir cacher qu'elle vit "dans la cour des Tsiganes", elle promet de tout faire pour sortir de la "crasse".

Et elle y parvient avec brio: admise à la très sélective Académie de théâtre et de cinéma de Bucarest, elle poursuit de brillantes études à New York puis à Londres.

Rapidement, Alina Serban se fait remarquer au cinéma pour son rôle dans "Gipsy Queen", l'histoire d'une femme qui se bat littéralement, sur le ring, "pour la dignité de ses enfants", ou encore dans le film belge "Seule à mon mariage".

Mais la reconnaissance, les prix internationaux "ne suffisent pas". Visée par les remarques blessantes d'un voisin ou d'un ancien camarade de fac, elle doute de ses mérites.

- "Changer le monde" -

"C'est ça le résultat du racisme: tu finis par souffrir du syndrome de l'imposteur, par te haïr toi-même", ajoute la comédienne, première de sa famille à avoir terminé le lycée et dont des nièces "rêvent toujours d'apprendre dans la classe des enfants roumains".

Celle qui a toujours été "en quête de validation par les autres" multiplie les projets, se penche sur l'esclavage des Roms, une page sombre de l'histoire roumaine qui a vu leur asservissement durant 500 ans.

Officialisé en 1856, l'affranchissement a été un processus long et difficile.

Au quotidien, le racisme est tenace, l'accès des Roms à l'emploi et au logement est compliqué.

A la mi-janvier, le meurtre d'un chauffeur de taxi par un Rom a mis le feu aux poudres dans un village près de Bucarest, les habitants scandant "Les Tsiganes dehors".

Selon des sondages d'opinion parus en 2018 et 2020, sept Roumains sur dix disent "ne pas faire confiance aux Roms".

L'artiste voit malgré tout des raisons d'espérer, avec notamment un nouveau regard sur la culture rom, devenue "cool". La jeune génération, plus ouverte à la diversité, s'intéresse à la musique ou à la mode de cette minorité.

Des progrès sont vus aussi à l'école: "il commence à y avoir une prise de conscience" sur ce que les Roms ont enduré, estime le sociologue Adrian Furtuna, qui cite l'introduction pour la première fois dans les manuels d'un récit sur l'esclavage.

"Si je continue, c'est parce qu'à la fin des films ou des pièces où je joue, je vois une lueur dans les yeux des spectateurs", confie Alina Serban. "Je suis convaincue que je peux changer le monde avec les histoires que je raconte".

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