Accueil Actu

L'ONU impuissante à empêcher une guerre de la Russie en Ukraine

La réunion nocturne se voulait déterminante, elle fut surréaliste. Alors que la Russie avait déjà lancé son offensive en Ukraine, les membres du Conseil de sécurité de l'ONU, mine grave et traits tirés, ont continué à lire méthodiquement leurs discours préparés à l'avance, alertant sur les risques d'une invasion... qui avait donc commencé.

Car comme un pied de nez à l'instance, c'est quelques minutes après le début de la session d'urgence du Conseil que le président russe Vladimir Poutine a annoncé le lancement d'une "opération militaire" en Ukraine, illustrant l'incapacité de l'ONU à empêcher la guerre, comme en 2003 avec l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis.

Au début de la séance, improvisant, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a supplié la Russie de ne pas déclencher de conflit en Ukraine. Avec un aveu presque pathétique: "Je n'ai jamais cru" les rumeurs sur une invasion imminente, j'étais "convaincu que rien de sérieux n'arriverait. J'avais tort".

A la fin de la séance, il implorait Vladimir Poutine d'arrêter son offensive.

Imperturbables, bien que prévenus par leurs téléphones portables, les ambassadeurs ont continué à exhorter la Russie à ne pas envahir l'Ukraine alors que les nouvelles d'explosions dans plusieurs villes, dont Kiev, se multipliaient.

Plusieurs membres ont repris la parole à la fin de la réunion pour condamner Moscou, avec un échange particulièrement tendu entre l'ambassadeur ukrainien, Sergiy Kyslytsya, et l'ambassadeur russe, Vassily Nebenzia. Fait du hasard et ironie du sort, ce dernier occupe la présidence en exercice du Conseil de sécurité en février.

Pour Sergiy Kyslytsya, la réaction de l'ONU à la menace russe, illustrée par le peu d'empressement de son chef à critiquer la Russie, comme il aurait pu le faire il y a des semaines, a été trop tardive.

Mais que pouvait faire d'autre l'Organisation, créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour essayer d'empêcher les conflits? Pas grand-chose en fait. Depuis 77 ans, l'ONU n'a pas été en mesure d'éviter une guerre déclenchée par l'un de ses cinq membres permanents, dotés d'un droit de veto, qu'il s'agisse des Etats-Unis pour l'Irak ou de la Russie pour l'Ukraine.

L'institution multilatérale, à la crédibilité sérieusement écornée, est l'une des rares à n'avoir pas été réformée pour tenir compte de l'évolution du monde devenu multipolaire.

- Vote vendredi -

Les cinq membres permanents de son Conseil de sécurité - Etats-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni - sont les seuls à diriger la marche du monde, reléguant l'Organisation à un rôle principal de fournisseur d'aide humanitaire en cas de catastrophe naturelle ou de conflits, arrivant au mieux dans certains cas à limiter leur expansion. Le format même de l'institution, avec ses 15 membres dont dix non-permanents, n'a pas bougé et une réforme visant à l'agrandir pour mieux refléter le monde d'aujourd'hui reste dans l'impasse.

La Charte de l'ONU, que Moscou est accusé de violer avec l'invasion de l'Ukraine, ne prévoit aucune exclusion de ses membres s'ils venaient à engager une guerre. Seule une perte de droit de vote est prévue à l'Assemblée générale mais en cas de dettes à l'Organisation dépassant un certain seuil.

Au Conseil de sécurité, le droit de veto permet tout et la Russie ne se prive pas de l'utiliser, sans état d'âme. Plus d'une quinzaine de fois depuis 2011 pour le seul conflit en Syrie et sans se préoccuper des conséquences à son égard. "Ils s'en fichent", concède un diplomate sous couvert d'anonymat.

Ce sera à nouveau le cas vendredi. Les Occidentaux veulent faire rendre des comptes à la Russie avec une résolution "condamnant dans les termes les plus forts l'invasion russe de l'Ukraine", selon un responsable américain s'exprimant sous couvert d'anonymat. Lors du vote, Moscou mettra son veto et le texte porté par les Etats-Unis et l'Albanie sera rejeté.

Mais "la Russie ne peut pas opposer son veto à nos voix", souligne ce responsable américain.

Un texte similaire sera ensuite transmis à l'Assemblée générale des Nations unies, qui regroupe les 193 pays membres de l'Organisation. A la différence de celles du Conseil de sécurité, ses résolutions ne sont pas contraignantes. Elles ont toutefois une valeur politique et le nombre de pays qui se prononceront en faveur du texte sera observé de près.

En 2014, lors de l'annexion de la Crimée, un scénario similaire s'était produit. La Russie avait mis son veto à un projet de résolution la condamnant, la Chine s'abstenant. Le texte avait recueilli ensuite à l'Assemblée générale 100 voix en sa faveur sur 193 membres, soit une courte majorité, 11 contre et 58 abstentions.

Huit ans plus tard, la Crimée est toujours sous le contrôle de la Russie, même si son annexion n'a pas été reconnue internationalement.

"Malheureusement, aucune solution de l'ONU n'est parfaite ou éventuellement utile pour désamorcer la situation en Ukraine en ce moment", note Pamela Chasek, professeure de sciences politiques à New York. "Le système des Nations unies est faible, mais il a été conçu dans l'espoir d'éviter une autre guerre mondiale", précise-t-elle.

À lire aussi

Sélectionné pour vous