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Marc Lerchs, ambulancier secouriste dans les années 70-80: "On devait chipoter avec un pied de biche et une boîte de pansements"

L'invité du RTL "Avec Vous" ce lundi a eu plusieurs vies, dont celle de secouriste ambulancier. Marc Lerchs a répondu aux questions d'Olivier Schoonejans.

Marc Lerchs a été secouriste entre la fin des années 70 et le milieu des années 80. Il raconte ses souvenirs dans le livre "Aventures et mésaventures d’un secouriste ambulancier".

Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce métier, qui est d'abord bénévole ?

"J'ai toujours été très curieux de tout, et je me suis dit qu'en devenant secouriste, puis ambulancier, ce serait une manière de découvrir ce qu'est la nature humaine au plus près. On arrive au milieu de la nuit dans des endroits qui sont en crise, ça peut être un château, ça peut être un taudis, et on vit des moments où les masques tombent. On intervient parfois pour des gens blessés, ou presque mourants, et la famille se dispute déjà l'héritage dans la salle à manger, donc c'est vraiment, pour un simple passant curieux de tout, une école de vie qui est très attirante".

Vous publiez toute une série d’histoires et d’anecdotes sur votre métier. Notamment le jour où votre collègue est parvenu à faire marcher une vielle dame blessée. Elle a descendu 7 étages avec lui… avant qu'on se rende compte plus tard qu'elle avait le col du fémur cassé.

"Elle n'avait pas vraiment le choix. Ce collègue me dit, je dois terminer à l'heure, parce que je dois aller voir ma maîtresse, et puis à quatre heures moins cinq, il y a une urgence, et le remplaçant n'est pas arrivé. On ne peut pas partir quand le remplaçant n'est pas là, donc il dit, "On y va", mais il s'imagine qu'on va devoir descendre la dame du sixième étage, et que ça va être beaucoup trop long. Une fois arrivés sur place, il me dit: "Je ne sais pas ce qu'elle a, mais celle-là, elle sait marcher". Car en bon Bruxellois, il emploie "savoir" au lieu de "pouvoir". Il arrive, au 7e étage, en hurlant "L'ambulance", il y a une dame de 70 ans qui ouvre, qui répond, "oui". Il s'exclame alors, "Madame sait marcher, formidable", il l'attrape et la tire dans l'escalier… mais ce n'était pas elle. "C'est pour qui alors?", a-t-il demandé. "C'est pour maman", s'est-il vu répondre. C'était pour une dame de 90 ans, qui était dans son fauteuil. Il l'attrape, il la fait descendre six étages en la tenant par les aisselles, il la jette dans l'ambulance, la tête cogne la bouteille d'oxygène, on arrive à l'hôpital, on est de retour chaussée de Vleurgat, et il est 16h10. Le lendemain, on a appris qu'elle avait été opérée d'une fracture du col du fémur. Je ne pense pas qu'on pourrait faire ça encore aujourd'hui, et heureusement".

A l’époque, il n’y a pas de GSM, pas de 4G, comment faisiez-vous pour être le plus efficace possible en intervention? Ce n'est pas si facile que ça…

"Il y avait une magie qui s'appelle la radio, la VHF, les gens téléphonaient avec le téléphone filaire au 900, on envoyait l'ambulance [à l'époque, il fallait former le 900 pour appeler les secours, ndlr], et on était en liaison radio avec la centrale des ambulances et c'était notre seul lien. Il n'y avait pas de SMUR, d'ambulances de réanimation, à l'époque, ça commençait à peine, ce qui veut dire que quand on avait eu nos dix heures de secourisme théorique, on nous mettait dans une ambulance. J'ai commencé à 17 ans et il en fallait 18, donc j'ai été le plus jeune ambulancier de Belgique. On arrivait sur une voiture dans le Bois de la Cambre avec quatre polytraumatisés incarcérés dans la voiture, et on devait chipoter avec un pied de biche et une boîte de pansements. Et si on était bon, les personnes s'en sortaient, et si on n'était pas très inspiré, les personnes n'arrivaient pas vivantes à l'hôpital".

Il y a des histoires incroyables, notamment votre rencontre avec le pape Jean-Paul II. Il est venu en Belgique en 1985. Et vous avez pris l'hélicoptère avec le pape. C'est inouï, ça…

"Pour les déplacements du pape, on avait prévu trois hélicoptères: un Sea King de la force aérienne pour trimballer le pape, plus deux Puma de la gendarmerie, un de l'escadron spécial d'intervention de la gendarmerie, et un de l'équipe médicale de la gendarmerie. Si le pape avait un malaise, on posait les hélicos dans un champ et l'équipe médicale de l'hélico montait dans l'autre. Donc, j'étais l'officier de liaison à côté du pape, en liaison avec l'équipe médicale. Ce qui fait que j'avais assisté aux réunions de préparation de la sécurité. Pour chaque trajet, on prévoyait plusieurs trajets, et l'officier de sécurité du Vatican, qui était un prêtre armé d'un magnum 357 en dessous de la soutane jouait aux dés le parcours".

Pour savoir quel parcours le pape allait prendre, il y avait 6 itinéraires possibles, on le jouait au hasard, aux dés, cinq minutes avant de partir.

"Oui, disons dix minutes. Sauf que je me suis rendu compte à la fin, quand le prêtre m'a offert le dé, que c'était un dé où il y toutes les faces avaient le numéro 6. Un prêtre qui joue trois 6 de suite, ça me parait quand même symboliquement un peu douteux. Je dois dire aussi que les militaires avaient équipé l'hélicoptère. Ils avaient mis dedans un fauteuil couleur bistre, un tapis d'orient criard et une toile fuchsia, en se disant, on ne va quand même pas laisser le pape monter dans un strapontin. Quand il est monté avec sa soutane, sa mitre et sa crosse, on aurait dit Saint-Nicolas qui recevait ses petits amis à l'Innovation le 6 décembre [le nom des magasins Galeria Inno, à l'époque, ndlr]. Nous avons eu une petite discussion, il a posé sa mitre, il a mis l'interphone, il parlait 8 langues dont le français. Il m'a demandé si j'avais la foi. Je lui ai répondu que je n'avais jamais pensé à la question. Il m'a dit, "Vous êtes encore jeune". Et puis nous sommes arrivés du ciel, au milieu des fidèles, à Namur. Nous avons posé l'hélico où le représentant de Dieu est descendu sur terre parmi les fidèles, c'était assez classieux".

Autre fait dont vous avez été l'acteur, c'est plus dramatique, c'est le Drame du Heysel. Vous y étiez aussi. Il y a de l'impuissance. Est-ce que, quand vous y repensez, vous vous dites, aurais-je pu faire autre chose ? Est-ce que j'aurais pu réagir autrement que la façon dont je l'ai fait ? Est-ce que vous pensez à ça parfois ?

La définition de la catastrophe, c'est quand la demande en secours est supérieure à ce qu'on peut donner tout de suite. Il y avait eu une malchance, qui a été une chance pour nous, c'est que la semaine d'avant, le stade de Bradford en Angleterre avait brûlé, avec aussi une cinquantaine de morts et 300 blessés, ce qui est à peu près le bilan du Heysel, qui avait fait 42 victimes. On avait préparé beaucoup de volontaires et beaucoup d'ambulances pour ce match à risque, c'étaient un peu les mêmes "clients" qui revenaient, les Hooligans anglais, et quand les événements se sont produits, on avait beaucoup de personnel sur place. Après, on a vu ce qui arrive en médecine de guerre, c'est que quand il y a beaucoup de morts, il y a des gens qui sont des urgentistes aguerris qui, pour certains, ont des ruptures de compétences, perdent leurs moyens à cause du stress, d'autres font des choses hyperactives qui ne servent à rien, comme aller chercher des cadavres sur des barrières Nadar, les prendre par terre, les déposer plus loin. Et puis, 20% des gens gardent leurs moyens et ont une attitude efficace. Au Bataclan, les pompiers ont vu la même chose. Certains jeunes caporaux ont pu régler toute la situation et parfois, certains urgentistes plus âgés perdaient complètement leurs moyens. C'est très curieux à voir, quand il y a trop de stress, il peut y avoir des ruptures de compétences. Certains n'en ont jamais, mais n'ont pas forcément des compétences non plus…

Une dernière question: ça fait quoi d'actionner la sirène d'ambulance ?

On se sent ivre d'impunité.


 

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