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Depuis six ans, Jean-Luc roule régulièrement à vélo dans la Forêt de Soignes. Ce Bruxellois aime arpenter les chemins de ce poumon vert qui s’étend sur les trois régions du pays. Début 2018, il commence toutefois "à constater de plus en plus d’abattages d’arbres en bonne santé".
Fin novembre dernier, ce cycliste amoureux de la nature est particulièrement consterné lors d’une promenade. Il décide de nous contacter via notre bouton orange Alertez-nous pour dénoncer "un spectacle désolant". Et pour illustrer ses propos, Jean-Luc prend plusieurs photos d’arbres coupés sur le Chemin du Pivert et la Drève Van Kerm. Une série de clichés qu’il intitule "Massacre à la tronçonneuse".
"C'est de l'exploitation forestière à des buts uniquement lucratifs"
"C’est ça que la Région bruxelloise offre aux nombreux promeneurs et cyclistes venus goûter les plaisirs sylvestres de la Forêt de Soignes en cette magnifique journée d'automne ensoleillée", déplore Jean-Luc.
"Ce n'est pas de la gestion forestière ! C'est de l'exploitation forestière à des buts uniquement lucratifs. Est-ce vraiment ainsi que les Bruxellois(es) veulent voir gérer leur patrimoine forestier, inscrit à l'Unesco ? Devons-nous faire face aujourd'hui à une "déforestation à la Bolsonaro" de la Forêt de Soignes", demande-t-il avec amertume, en faisant allusion à la situation de l’Amazonie au Brésil.
"C’est entièrement faux"
Pour lui répondre, nous avons contacté deux experts en la matière. Stéphane Vanwijnsberghe est ingénieur directeur à Bruxelles Environnement. Depuis 20 ans, il occupe ce poste à responsabilité. Willy Van De Velde est l’un des huit gardes forestiers qui travaillent sur la partie bruxelloise de la Forêt de Soignes qui existe depuis la préhistoire.
Tous les ans, il y a des milliers d’arbres qui sont abattus sur les 1.654 hectares qui se trouvent sur la région bruxelloise
Quand on leur demande si la mission principale des gardes forestiers bruxellois est économique, comme l’affirme Jean-Luc, leurs réponses sont claires.
"C’est entièrement faux", rétorque Stéphane Vanwijnsberghe. "Il y a toujours eu des abattages en Forêt de Soignes depuis qu’elle est gérée par l’homme. Tous les ans, il y a des milliers d’arbres qui sont abattus sur les 1.654 hectares qui se trouvent sur la région bruxelloise. Ces abattages se font de façon tout à fait légale et sont cadrés par un plan de gestion approuvé officiellement par les plus hautes autorités politiques de la région", indique cet ingénieur directeur.
Les abattages évoqués par Jean-Luc font donc partie du nouveau plan de gestion de la Forêt de Soignes approuvé en juin 2019 par le gouvernement bruxellois. "Ce plan a fait l’objet d’une vaste enquête publique à laquelle a été invitée à se prononcer le tout public", précise-t-il.
"On ne coupe pas seulement des arbres parce qu’ils sont malades"
Willy Van De Velde est justement en contact direct avec le public, qui l’aborde régulièrement. "Quand je circule en forêt, je suis régulièrement interpellé par des promeneurs qui s’inquiètent ou qui posent des questions. Parfois ils sont très virulents et critiques", confie le garde forestier. L’une de ses missions est justement de les informer et de les sensibiliser.
"En fait, nous avons cinq objectifs de gestion qui doivent cohabiter. L’objectif économique est très loin derrière les objectifs récréatif, écologique, paysager et patrimonial puisque nous avons une forêt ancienne avec énormément de traces de l’histoire humaine", précise-t-il.
Mais apparemment le public méconnait les fonctions de la gestion forestière. "Il a une vision un peu déformée des motifs qui poussent les forestiers à couper des arbres. Je suis toujours étonné d’entendre: "M’enfin vous coupez des arbres en bonne santé". On ne coupe pas seulement des arbres parce qu’ils sont malades ou en mauvais état", souligne le garde forestier.
Pourquoi réaliser ces abattages ?
Alors, pourquoi réaliser ces abattages ? Les raisons sont multiples et différentes en fonction de la situation. "Certains visent la sécurisation des chemins ou des lisières pour éviter les accidents, ce sont des arbres qui sont en faiblesse en raison d’une maladie ou de leur âge", explique Stéphane Vanwijnsberghe.
Ensuite, il y a aussi une volonté de rajeunir les peuplements. La particularité de la Forêt de Soignes, c’est qu’elle est composée principalement de hêtres. Certains sont très vieux. "Du côté du chemin du Pivert, on est face à des peuplements terriblement âgés. Notre préoccupation est d’une part de les rajeunir parce que les peuplements jeunes résistent mieux aux aléas climatiques, aux différentes sécheresses que l’on subit ces dernières années", explique Willy Van De Velde.
Pour permettre à la forêt de se développer de façon plus harmonieuse avec le maximum de chance de résilience face aux changements climatiques, il est aussi crucial de diversifier les essences, les espèces d’arbres. Les forestiers abattent donc des hêtres qui souffrent beaucoup des aléas climatiques. "Pour les remplacer nous plantons du chêne sessile, du tilleul à petites et grandes feuilles, etc. qui sont plus résistants à la sécheresse de façon à préparer la forêt à ce phénomène et pouvoir maintenir une forêt dans tous épisodes de turbulence que nous connaissons à l’heure actuelle", précise Stéphane Vanwijnsberghe.
L’intervention de l’homme est visiblement indispensable pour permettre cette diversification. "Il y a un facteur qui manque en Forêt de Soignes, c’est la régénération naturelle. On en a relativement peu en partie parce que les peuplements de hêtres sont trop denses et on n’a pas assez de lumière qui arrive au sol pour permettre une diversification des essences qui vont pouvoir pousser naturellement en sous-bois", assure le garde forestier.
On ne travaille jamais contre les intérêts de la forêt
Certains arbres doivent ainsi disparaître pour privilégier le développement de voisins considérés comme des arbres d’avenir, plus sains ou plus recherchés. "Les arbres d’avenir qu’ils soient beaux, tordus, peu importe, ils seront privilégiés. En fonction des objectifs visés, on va prélever plus ou moins d’arbres concurrents directs pour permettre à ces arbres d’avenir de pousser dans les meilleures conditions possibles. Et cela se fait de façon très progressive. Il faudra 40 ans pour atteindre les densités optimales que nous désirons pour permettre de façon très favorable la régénération naturelle. En tout cas, on ne travaille jamais contre les intérêts de la forêt", assure le garde forestier.
Une vente publique annuelle de lots d’arbres
Et qui sélectionne les arbres à abattre ? Ce sont les forestiers qui désignent les arbres à couper. "Nous procédons au martelage, c’est-à-dire que l’on va marquer les arbres qui vont constituer les lots d’arbres qui vont être coupés", explique Willy Van De Velde.
Le volume des lots oscille entre environ 50 mètres cube et 1.500 mètres cube. "Chaque année, ils sont vendus dans le cadre d’une vente publique qui a lieu au mois d’octobre. Ils sont achetés par des marchands de bois qui sont chargés d’exploiter ces lots", précise Stéphane Vanwijnsberghe. Sous l’œil vigilant des gardes forestiers, les bûcherons peuvent venir couper les arbres sélectionnés jusqu’au 31 mars. "A partir de cette date jusqu’au 15 août, il ne peut plus y avoir d’abattages en forêt pour des raisons écologiques, pour permettre la floraison, la nidification des oiseaux, la reproduction des mammifères", souligne le garde forestier.
Il est clair que les bénéfices éventuels ne vont pas dans les poches des forestiers
Et que devient l’argent versé par les marchands ? "Il est clair que les bénéfices éventuels ne vont pas dans les poches des forestiers. Cet argent va dans les caisses de la région bruxelloise", assure cet amoureux de la nature. "Il est reversé à un fonds dont l’objectif est de pouvoir préserver plus de nature à Bruxelles", ajoute le directeur.
Pour Willy Van De Velde, il s’agit donc d’une manne financière assez maigre qui est indispensable:"Il existe une mission économique dans beaucoup de forêts européennes. C’est relativement vrai encore en Wallonie, dans les régions forestières de Gaume et d’Ardenne par exemple. Mais ici en Forêt de Soignes, ce n’est plus vrai du tout. Les autres objectifs ont pris clairement l’ascendance sur la fonction économique et sur l’exploitation du bois. Malgré tout, c’est un moteur pour nous permettre de remplir les autres objectifs".
"Nous n’avons pas à rougir de vendre du bois"
Le garde forestier s’exprime ensuite à titre personnel pour révéler son avis sur la question. "Personnellement, je défends l’idée que nous n’avons pas à rougir de vendre du bois, de couper du bois si cela répond à nos besoins de consommateurs de bois. C’est une ressource naturelle renouvelable et je voudrais rappeler que la partie bruxelloise de la Forêt de Soignes est labellisée FSC, c’est un label qui garantit que la forêt est gérée de façon durable. Et donc en garde forestier, je ne rougis pas de cette fonction-là", confie-t-il.
Sans intervention humaine, que se passerait-il ?
Et si l’homme n’intervenait pas, à quoi ressemblerait la forêt ? Selon nos deux spécialistes, cela aurait surtout un impact sur tous ceux qui viennent s’y balader. "Comme c’est une forêt urbaine très fréquentée, la non-gestion de cette forêt ne serait pas possible parce que la sécurité des usagers ne serait pas assurée", souligne l’ingénieur directeur.
"Une forêt qui n’est pas gérée, je peux vous garantir que c’est une forêt peu accueillante pour les promeneurs, les cavaliers, les cyclistes qui viennent profiter de cet écrin de verdure. Les gens ne réalisent pas que nous devons gérer cette foret également pour permettre au public bruxellois de s’y promener", confirme Willy Van De Velde . "Sans notre intervention, il n'y aurait plus de chemins, il y aurait du bois mort en travers, il y aurait beaucoup d’arbres basculés parce que les arbres qui arrivent à leur âge limite tombent par le vent ou meurent sur pied et s’effondrent. Il y aurait des zones de régénération naturelle très denses qui se feraient là où les trouées seraient opérées. Dans une forêt vierge, sans aucune intervention humaine, il est très difficile de circuler", conclut le garde forestier.