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Migrants: en Bosnie, une "jungle" indigne

"C'est la jungle!". Mohammad Nawaz désigne le campement de Vucjak, avec ses ordures entre les tentes, ses robinets d'où parfois l'eau ne coule plus et ses sanitaires nauséabonds: près de Bihac, en Bosnie, des migrants survivent en attendant l'hiver.

Pour protester contre "l'abandon" de sa ville par l'Etat, le maire Suhret Fazlic a interrompu cette semaine l'approvisionnement en eau et le ramassage des déchets à Vucjak. "Ici la situation doit devenir absurde pour que tout le monde commence à faire son travail", explique-t-il.

Le lendemain, les autorités locales ont livré des citernes d'eau. Mais cette décision d'urgence s'apparente à un pansement sur une jambe de bois, tant Vucjak est devenu un endroit "indigne" selon le qualificatif choisi par l'Union européenne dans un récent communiqué.

En juin, la municipalité avait déplacé dans l'urgence sur le site d'une ancienne décharge plusieurs centaines de migrants. Débordée, elle entendait répondre au mécontentement des habitants face à la présence croissante dans le centre de Bihac de ces voyageurs, majoritairement des jeunes hommes d'Asie et du Proche-Orient.

L'UE, qui exige sa fermeture, a dénoncé le "transfert forcé de migrants" vers ce campement rappelant qu'il est situé à proximité de terrains minés, héritage de la guerre (1992-95). Situé à 8 km de la ville, au pied du mont de Pljesevica, frontière naturelle avec la Croatie, l'endroit accueille aujourd'hui 700 personnes.

Bruxelles, qui a débloqué 34 millions d'euros depuis 2018 pour aider la Bosnie dans la gestion des migrants, demande aux autorités de bâtir un centre d'accueil ailleurs.

- Marche de nuit -

Selon le responsable de la police dans le canton de Bihac, Nermin Kljajic, "entre 6.000 et 7.000 migrants" se trouvent actuellement dans le canton de Bihac, alors que la capacité des quatre camps gérés par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) est de 3.500 personnes.

Certains réussissent à passer en Croatie, premier pays de l'UE. Mais chaque jour environ 150 migrants prennent à Sarajevo le train vers Bihac. Traduisant une volonté un peu vaine de les ralentir, la police les fait descendre à leur arrivée vers minuit dans une gare à une cinquantaine de kilomètres de la ville, a constaté un journaliste de l'AFP. Ces migrants finiront la route à pied, épuisés après une douzaine d'heures de marche avant de s'engager vers les bois de Pljesevica, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Le secteur de Bihac est un cul-de-sac pour ces migrants qui, depuis des mois, tentent de passer par la Bosnie, petit pays enclavé des Balkans, pour rejoindre l'Europe occidentale.

Si son relief accidenté les a longtemps rebutés, la fermeture de ses portes par l'UE en 2016 et l'installation d'une clôture hérissée de barbelés et partiellement électrifiée entre la Serbie et la Hongrie, les a poussés à trouver des routes clandestines alternatives.

- "Je ne suis pas un animal" -

C'est donc à la Bosnie de gérer ces milliers de migrants, en grande majorité des jeunes hommes. Or ce pays, l'un des plus pauvres d'Europe, est dans une situation de crise institutionnelle majeure: un an après les législatives, les responsables des communautés bosniaque (musulmane), serbe (orthodoxe) et croate (catholique) n'ont pas réussi à taire leurs dissensions pour former un gouvernement.

A Vucjak, une odeur insoutenable émane des toilettes amovibles installées là, que personne ne vient vider et désormais inutilisables. Pas de douches, pas d'électricité. Un groupe électrogène ne fonctionne que le temps de permettre aux occupant du camp de recharger leurs téléphones.

La Croix-Rouge distribue deux repas par jour et des vêtements. Mais son responsable local, Selam Midzic, ne cache pas son exaspération: "C'est bien d'apporter de l'eau, de ramasser des ordures. Mais qui s'occupera des nombreux migrants qui ont la gale, la tuberculose, l'hépatite?"

"Je ne suis pas un animal, je suis un être humain. Le médecin n'est pas venu depuis dix jours", crie Ali Raza, un Pakistanais de 24 ans, qui dit être dans le camp depuis trois mois.

"Tu vas en ville (à 8 km du camp, ndlr), problème avec la police, tu vas en Croatie et en Slovénie, problème aussi", renchérit son compatriote Mohammad Nawaz, 32 ans. Ceux qui tentent d'aller à Bihac sont reconduits aussitôt que repérés. La police laisse faire ceux qui choisissent de s'enfoncer dans les bois.

"Avec l'arrivée de l'hiver, la situation ne peut qu'empirer", a mis en garde la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic.

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