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Elevage: la revanche du modèle intensif

La "montée en gamme" de l'élevage français, défendue un temps par Emmanuel Macron et censée améliorer le bien-être animal, se heurte au mur de l'inflation. Alors l'horizon est à nouveau à la production de masse pour résister aux importations à bas coût.

"On doit arriver à dire qu'il faut travailler sur l'entrée de gamme", a avancé le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau mardi, au premier jour du salon des productions animales de Rennes (Space), vitrine bretonne de l'agro-industrie.

"Les questions de bien-être animal ne marchent que si on trouve quelqu'un qui paie" pour des produits coûtant plus cher à produire, a-t-il ajouté devant les organisations professionnelles de la volaille.

Le discours résonne singulièrement en Bretagne, première région d'élevage, qui produit aujourd'hui plus d'un porc français sur deux et un poulet sur trois.

Décrié pour ses coûts environnementaux (notamment la prolifération d'algues vertes due aux rejets agricoles), le modèle intensif qui s'y est développé après-guerre a encore le vent dans le dos.

"On a un objectif de reconquête" de la production standard, résumait quelques jours plus tôt devant des journalistes Gilles Huttepain, cadre dirigeant du leader français de la volaille LDC (Le Gaulois, Maître Coq, Poulets de Loué...) et vice-président de l'interprofession Anvol.

A l'échelle nationale, "il faudrait construire 400 nouveaux poulaillers par an en standard pour reconquérir des parts de marché sur les importations", alors qu'un poulet consommé sur deux provient d'ailleurs.

La France est pour l'heure le premier producteur de viande bovine de l'UE, le deuxième pour le lait et le troisième pour le porc. Le pays se maintient aussi sur le podium pour les oeufs, même si la production a reculé avec la grippe aviaire.

Gilles Huttepain enfonce le clou : "On ne veut pas devenir la Suisse. Ils sont tellement montés en gamme qu'ils ont une production (agricole) folklorique, et le reste c'est de l'importation."

- "Silence radio" -

Dans le monde d'avant la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, les lancements de produits bio ou "engagés" étaient légion. Élever moins d'animaux au m2, réduire le recours aux cages pour les poules et les truies, augmenter le pâturage pour les vaches: c'était l'air du temps et conforme aux préconisations des vétérinaires.

Mais l'inflation est passée par là. Selon l'Insee, le prix des produits alimentaires a encore bondi de 11,1% le mois dernier sur un an. Résultat: les Français privilégient les premiers prix, se détournent du bio, dont les ventes pour la consommation à domicile ont reculé de près de 600 millions d'euros en 2022 sur un an.

Pascale Hebel, directrice chargée des tendances de consommation à la société de conseil C-Ways, remarque que seuls "30% des Français ont les moyens de payer plus cher pour la qualité", contre 50% en 2017.

Cette année-là, le président nouvellement élu Emmanuel Macron avait bousculé le monde agricole en suggérant d'"arrêter des productions, qu'il s'agisse de la volaille ou du porc, qui ne correspondent plus à nos goûts, à nos besoins".

Désormais, "silence radio" à l'Elysée sur la montée en gamme, remarque Gilles Huttepain. L'exécutif parle "souveraineté alimentaire" et baisse de la dépendance aux importations.

- "Le prix, le prix, le prix" -

Poussée par les pouvoirs publics, les enseignes de supermarché et les associations de protection animale, la filière oeufs a quasiment tourné le dos aux cages (une poule sur quatre élevée en cage aujourd'hui en France contre encore 44% en 2020).

Yves-Marie Beaudet, éleveur et président de l'interprofession de l'oeuf CNPO le regrette car les achats d'oeufs issus de poules en cage, moins chers, sont repartis avec l'inflation.

"Notre problème, c'est que la demande du consommateur c'est le prix, le prix, le prix", abonde la directrice de l'interprofession porcine Inaporc, Anne Richard.

Il a été reproché aux professionnels du porc de ne pas prendre le train de la montée en gamme (moins de 1% de porc bio). "Peut-être que la résistance qui a eu lieu à l'époque n'était pas ridicule. Les gens qui ont investi dans le bio se retrouvent coincés" faute de débouchés, note-t-elle.

Priorité désormais à la "compétitivité", aux volumes plutôt qu'aux niches pour faire des économies d'échelle et rester accessible.

"C'est un retour en arrière, à contre-courant des enjeux qu'on a devant nous", notamment de développer - pas seulement pour les riches - une alimentation de qualité, regrette Mathieu Courgeau, éleveur laitier et coprésident du collectif Nourrir, qui rassemble une cinquantaine d'organisations pour une refonte du système agricole et alimentaire.

Pour lui, le retour en grâce du standard n'est qu'un prolongement de ce qui s'est fait "depuis les années 1960: produire plus pas cher, quels que soient les coûts sociaux et environnementaux cachés".

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