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En Russie, des opposants venus voter sans illusion mais en quête de réconfort

A midi dimanche, des queues se sont formées devant certains bureaux de vote russes. A l'appel de l'opposition, des électeurs sont venus tous à la même heure, moins par espoir d'influer sur le résultat de la présidentielle que par besoin de sentir qu'ils ne sont "pas seuls".

Au bureau de vote de l'école 2025 de Moscou, Denis, 21 ans estime que ce "geste symbolique" est "le seul moyen d'exprimer (sa) position dans ces circonstances".

"Tout le monde sait qui va gagner cette élection", note cet employé du secteur de la publicité, la réélection du président Vladimir Poutine étant inévitable faute de véritables candidats d'opposition.

C'est ici que le défunt opposant Alexeï Navalny avait fait son meilleur score à l'élection municipale à laquelle il s'était présenté en 2013.

Faute de pouvoir être représentés à la présidentielle, ses partisans, au premier rang desquels sa femme Ioulia Navalnaïa, avaient fixé ce rendez-vous.

Pour beaucoup, il s'agit d'oser un petit geste de rébellion sans risquer trop gros, dans un pays où aucune dissidence n'est tolérée et où la répression s'est encore renforcée depuis le début de l'offensive en Ukraine, en février 2022.

Artem Minassian, un étudiant de 19 ans, dit être présent "pour montrer que nous sommes nombreux, que nous existons, que nous ne sommes pas une minorité marginale".

Léonid Pakhine, un étudiant de 18 ans, assure ne pas avoir peur car "ce n'est pas punissable par la loi". Une ONG spécialisée a néanmoins recensé plusieurs dizaines arrestations pour diverses actions de protestation.

Dans la file, nombreux sont ceux qui sont aussi venus chercher un peu de réconfort.

"Nous essayons de trouver des moyens d'exprimer notre attitude à l'égard de ce qui se passe en Russie, parce qu'un grand nombre de personnes sont aujourd'hui très déprimées et ont besoin de se retrouver avec celles qui pensent pareil", explique Olga Mironenko, une employée du secteur des technologies de 33 ans.

- "Exprimer une opinion" -

Dans un autre quartier de la capitale, Marino, devant le bureau dans lequel Alexeï Navalny votait, les mêmes mots reviennent.

"C'est notre seule occasion d'exprimer une opinion", affirme Elena, une ingénieure de 38 ans.

Olga, 52 ans, est ravie d'avoir pu parler avec des personnes qui pensent "la même chose que moi".

"Je ne suis pas seule", se rassure-t-elle, avant de partir avec son fils pour se recueillir sur la tombe de l'opposant mort en prison en février et inhumé dans le quartier.

Dans le cimetière Borissov, une centaine de personnes sont rassemblées autour de sa tombe, à peine visible tant les bouquets de fleurs sont nombreux.

Entre les pétales se dessinent de faux bulletins de vote sur lesquels le nom d'Alexeï Navalny a été ajouté. "Le candidat qu'on voulait", peut-on lire sur l'un des messages.

Regina, 33 ans, admet sans difficulté ne pas être l'un de ces "superhéros qui veut aller en prison", comme l'ont fait l'ancien numéro un de l'opposition et bien d'autres figures du mouvement.

Mais elle veut lutter contre "le sentiment qui a été méthodiquement créé chez les gens, pour nous faire sentir que nous sommes la minorité".

En regardant la foule, "je vois que nous ne sommes pas seuls", dit Regina.

Pour Evguénia, 18 ans, donc née après l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, l'espoir devient "plus tangible".

Elena, 66 ans, se sent quant à elle "plus légère". En Russie, il est devenu rare pour elle de pouvoir parler franchement, sans contrôler ce qu'elle dit. Une grande partie de ses proches ne vivent plus en Russie, un pays qui a connu une vague d'émigration massive depuis le début du conflit en Ukraine.

A Marino, beaucoup évoquent leur admiration pour Alexeï Navalny, le symbole d'une liberté qu'ils envient. Margarita, 27 ans, juge que l'"espoir" qu'il incarnait est "mort avec lui".

Les larmes aux yeux, elle dit se sentir désormais "constamment en danger". "Mais en étant dans cette masse de gens, vous vous sentez tellement soutenus que vous n'avez plus peur de rien."

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