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De la prison à la prévention, Adama Camara a fait son combat de la lutte contre les rivalités meurtrières entre quartiers des cités populaires, après avoir perdu son frère dans une rixe et avoir tenté de le venger.
Dans une salle de classe, cet ancien chauffeur-livreur de 34 ans est solidement campé devant une quarantaine d'élèves de 4e du collège Léopold Sédar Senghor de Corbeil-Essonnes.
Les présentations faites, il crée une embrouille fictive et invite les collégiens à enrichir le scénario. Les adolescents se prêtent volontiers au jeu, détaillent les coups qu'ils pourraient porter à la victime : "écrasement de tête", "coups de pieds", "schlass" (couteau).
Adama Camara reprend la main. "Quarante-huit heures après, vous apprenez que la personne que vous avez agressée est décédée. C'est quoi votre première réaction ?"
Silence gêné dans la salle.
L'ex-détenu déroule ensuite son récit personnel. La mort de son petit frère Sada, tué à 18 ans de plusieurs coups de couteau lors d'une rixe dans le Val-d'Oise en 2011. Le désir de vengeance qu'il a essayé de combattre. Puis ce jour d'août 2014 où il blesse par balles le grand frère du meurtrier et deux autres personnes. Enfin sa condamnation à huit ans de prison pour tentative de meurtre.
Face à lui, les élèves de 4e, captivés, n'en perdent pas une miette.
- "Street cred" -
Pour ces jeunes habitants de la cité des Tarterêts, son récit fait écho aux régulières bagarres dans leur quartier, rival de celui de Montconseil depuis des décennies.
"Ça choque, ça fait cogiter", réagit après la séance de deux heures Gérard, 13 ans. "Quand j'étais petit, je voyais les grands faire, je me disais +je vais faire pareil+, mais j'ai vu que ça servait à rien", confie le collégien au visage poupin.
À sa sortie de détention, Adama comptait "prendre un boulot et disparaître de la circulation" mais la prévention lui est, comme il dit, "tombée dessus". Un de ses posts Facebook écrit de manière impulsive contre une énième rixe devient viral, on le sollicite alors pour intervenir lors d'événements.
Avec son histoire, il jouit d'une certaine "street cred" (réputation dans la rue) auprès de la jeunesse.
À chaque nouveau drame, il sort son smartphone et filme en mode selfie ses coups de gueule depuis sa voiture, casquette "NY" sur sa boule à zéro et bouc discret.
Sur TikTok, ses vidéos cumulent des millions de vues.
Enfant de Garges-lès-Gonesse, régulièrement endeuillée par les rixes, où il vit encore, Adama s'est tourné vers l'écriture pour extérioriser ses sentiments et décrypter le phénomène, qu'il attribue à des "histoires d'égo" de la part de jeunes en quête de valorisation.
Le rap d'abord, puis un livre.
- "Chemin de la paix" -
Dans "N°55.852" (son numéro d'écrou), paru aux éditions JC Lattès, il raconte sans fard le "cimetière des vivants": la prison, les violences, l'isolement, le temps passé loin de sa petite fille.
Le déclic, pour le faire passer de la haine "au chemin de la paix", a été le décès de son père d'un cancer foudroyant. Derrière les barreaux, il n'a pu lui faire ses adieux, tout juste a-t-il pu aller le voir à la morgue.
Grand, athlétique, Adama Camara envisage sa mission d'intervenant comme "un combat" pour lequel "il faut être en bonne santé mentale et physique", au risque de se laisser prendre par la lassitude.
"Il y a des jeunes, je leur ai parlé et deux mois plus tard je les vois en prison pour meurtre", relate-t-il, "on ne peut pas sauver tout le monde".
Un peu partout en France, jusqu'aux Outre-mer, il multiplie ses interventions en milieu scolaire, associatif ou carcéral.
Pour toucher encore plus de monde, il a créé la série Rixes, produite par le média Streetpress. Dans chaque épisode d'une dizaine de minutes, Adama Camara part à la rencontre de victimes ou de leurs proches.
La saison 2 sera diffusée à partir du 3 mai, à raison d'un épisode chaque mercredi. Nouveautés: un épisode sur les filles victimes et un autre avec des détenus.
L'année prochaine, il commencera la sensibilisation auprès des CM2, avant leur entrée au collège, "dans la cour des grands".