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Vainqueur des législatives en Thaïlande, le progressiste Pita Limjaroenrat espère tourner jeudi la page d'une quasi-décennie de pouvoir militaire, mais sa désignation comme Premier ministre est compromise par ses affaires judiciaires et son programme jugé trop radical par ses opposants, dans un contexte de fortes tensions.
La deuxième économie d'Asie du Sud-Est, empêtrée dans un cycle de crises politiques récurrentes, traverse un nouveau moment critique, deux mois après les élections qui ont infligé un revers cuisant aux militaires au pouvoir depuis le coup d'Etat de 2014.
Seul candidat, Pita Limjaroenrat (42 ans) a besoin de 375 voix des députés et sénateurs pour accéder au pouvoir, un total qu'il n'est pas certain d'obtenir, en raison du désaccord d'une partie des sénateurs nommés par l'armée qui lui reprochent son projet de réformer la loi sur la lèse-majesté.
Avant d'entrer dans l'hémicycle, le député a assuré qu'il était "confiant" avant le vote, qui doit conclure de longues discussions entamées vers 09h30 (02h30 GMT).
La Thaïlande, divisée sur la place du roi et de l'armée dans la société, se cherche un nouveau chef de gouvernement, après neuf ans sous l'autorité de l'ex-général putschiste Prayut Chan-O-Cha, qui ont vu les libertés fondamentales reculer et la croissance économique stagner.
Le parti de M. Pita, Move Forward, a signé un éclatant succès sur la base d'un programme de rupture faisant écho aux manifestations pro-démocratie de 2020, mais l'alternance réclamée se heurte aux blocages d'une Constitution favorable à l'armée.
Le risque d'impasse maintient le scénario de manifestations géantes, récurrent en Thaïlande où les interventions de l'armée et de la justice nourrissent le cycle de crises politiques.
Pita Limjaroenrat, coqueluche des nouvelles générations, doit composer avec des résistances de la part du Sénat, et des poursuites judiciaires qui pèsent comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
Malgré le soutien d'une coalition majoritaire à la Chambre basse (312 députés sur 500) qui inclut le puissant parti d'opposition Pheu Thai, le candidat dépend du ralliement d'une soixantaine de sénateurs pour accéder au pouvoir.
- "Pas plus de dix sénateurs" -
Or, les 250 membres de la Chambre haute sont nommés par les militaires, opposés au programme de Move Forward, qui veut notamment abolir la conscription obligatoire pour les hommes et réduire la taille de l'armée.
Des sénateurs ont aussi pointé du doigt les ennuis judiciaires de M. Pita, qui devraient, selon eux, éliminer sa candidature.
Le jeune candidat (42 ans) a été accusé mercredi dans deux affaires distinctes, l'une pour irrégularités et l'autre pour vouloir "renverser" la monarchie.
Le président de la commission électorale, qui a mené une des enquêtes, a préconisé une suspension de ses fonctions parlementaires.
L'intéressé se défend de toute manœuvre illégale et dénonce une procédure précipitée politiquement biaisée en vue du vote. Il risque la perte de son siège de député, une peine de prison et un bannissement de la vie politique durant 20 ans.
"J'estime que pas plus de dix sénateurs vont voter pour Pita", a déclaré à la presse le sénateur Kittisak Rattanavaraha.
"Je suis toujours complètement qualifié" pour le vote, a lancé devant l'assemblée M. Pita, rappelant qu'il était présumé innocent en l'absence de jugement.
Parmi les autres points de tension, la réforme de la loi de la lèse-majesté, l'une des plus sévères au monde de ce type, soutenue par le mouvement progressiste, le seul à oser évoquer en public ce tabou.
Le camp conservateur refuse toute modification du texte, au nom du statut intouchable du roi, considéré comme une quasi-divinité.
- "Harcèlement" -
En cas d'échec, députés et sénateurs se réuniront autant de fois que nécessaire, avec la possibilité qu'un candidat jugé plus consensuel, issu d'un autre parti, emporte la fonction.
La Thaïlande, qui a connu une douzaine de coups d'Etat réussis depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, est habituée aux crises politiques, parfois émaillées de violences.
Barbelés, conteneurs pour bloquer les accès... Un dispositif sécuritaire d'ampleur quadrille les alentours du parlement, entouré de barricades.
Dans l'après-midi, sous une forte chaleur, environ 100 à 200 personnes se sont réunies à proximité du bâtiment sous haute surveillance.
Les poursuites visant Pita équivalent à du "harcèlement", a lancé Supattra Namthongchai, 59 ans, venue encourager Move Forward devant le parlement.
"Nous Thaïlandais, avons le droit d'exprimer nos opinions puisque nous sommes une démocratie. Nous pouvons nous réunir pour protester", a renchéri Patchaya Saelim, 17 ans, un autre soutien du mouvement réformiste.
Le programme de Move Forward comprend aussi une nouvelle Constitution, ainsi que l'ouverture de certains marchés et la légalisation du mariage pour tous.