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En Colombie, des gangs manient pelles et brouettes pour bâtir la paix

De jeunes membres du gang colombien des "Shottas" refont un terrain de foot laissé à l'abandon dans la ville portuaire de Buenaventura. Fin 2022, ils ont rejoint un fragile processus de paix initié par le premier gouvernement de gauche du pays.

Avec leurs rivaux du groupe des "Spartanos", ils comptent près de 2.000 membres, selon une estimation de la Fondation paix et réconciliation.

Avant la trêve, les deux bandes s'affrontaient sans merci pour le contrôle des différents quartiers de la ville. Elles se sont notamment opposées à l'arme automatique pendant plusieurs heures fin août 2022, lors d'une "nuit de terreur", selon la presse locale.

Désormais, des jeunes des "Shottas", bottes aux pieds et casque de chantier sur la tête, apprennent à manier pelles et brouettes à la place des armes. "C'est la première fois que certains d'entre eux travaillent dans la construction et ils aiment ça", assure sous couvert d'anonymat auprès de l'AFP un porte-parole du gang, sous le coup d'un avis de recherche.

Tous sont afro-colombiens, comme 91% des 350.000 habitants de cette ville par laquelle transite 33% du commerce international colombien, ainsi que la drogue ensuite acheminée vers l'Amérique centrale et le Mexique.

Dans le cadre d'un rapprochement avec le gouvernement du président Gustavo Petro, quelque 200 membres des deux groupes ont rejoint des projets financés par l'Etat comme celui de la rénovation du terrain de football en terre situé dans un quartier pauvre de la ville.

Mais la trêve reste fragile: le projet de loi validant les avancées obtenues lors des discussions de paix n'a toujours pas été adopté, et le mécontentement grandit parmi les membres des deux gangs.

- Fillette tuée -

Début juillet, après des mois de calme relatif, une fillette de neuf ans a été tuée dans une fusillade impliquant, selon les autorités, les deux bandes rivales. Ces dernières ont cependant démenti.

"S'il y avait plus d'œuvres comme celle-ci, peut-être aurions-nous moins de jeunes impliqués dans le conflit (...) nous avons toujours demandé un investissement social et non une militarisation", affirme le porte-parole des "Shottas".

La pauvreté touche 40% des habitants du principal port colombien du littoral pacifique, où le chômage concerne une personne sur quatre.

"Shottas" et "Spartanos" sont nés fin 2020 d'une scission au sein d'un même cartel criminel alors hégémonique, La Local. La confrontation a fait grimper le taux d'homicide de la ville à plus de 61 pour 100.000 habitants en 2021, soit près du double de 2020 et bien plus que la moyenne nationale (24).

En 2022, les deux gangs ont accepté d'ouvrir un dialogue avec le gouvernement, donnant le coup d'envoi à un processus de paix urbain "sans précédent", selon le gouvernement, dans un pays ravagé par un conflit de six décennies entre guérillas, paramilitaires d'extrême droite et trafiquants de drogue.

Nous avons eu une "trêve de septembre à janvier, puis le conflit s'est aggravé" entre les deux bandes, explique le porte-parole des "Shottas", un homme au physique corpulent qui a participé aux discussions de paix avec le gouvernement.

- "Payés pour ne pas tuer" -

C'est "un moment tendu parce qu'il n'y a pas de sécurité juridique et qu'il y a beaucoup d'intérêts économiques derrière tout cela. Les structures sont très nerveuses", estime Juan Manuel Torres, chercheur pour la Fondation paix et réconciliation, qui estime que le conflit a fait quelque 300 victimes depuis 2020 dans la ville.

Le porte-parole des "Shottas" abonde: sans "cadre juridique, nous ne savons pas ce qu'ils peuvent nous offrir".

Les discussions avec le gouvernement, relancées cette semaine, interviennent dans le cadre de la mise en oeuvre de l'ambitieux projet de "paix totale" voulu par le président Petro (élu à l'été 2022), pour mettre fin à la violence des différents acteurs armés sévissant dans le pays.

Signe de la volonté du président de parvenir à la paix, lors d'un récent déplacement à Buenaventura, il a lancé une proposition audacieuse intitulée "Jeunesse en paix": "Des milliers de jeunes seront payés pour ne pas tuer, pour ne pas participer à la violence et pour étudier".

Bien que critiquée par l'opposition, la mesure semble répondre aux demandes des gangs: le chômage, "c'est ce qui amène la pauvreté et la pauvreté amène la violence", souligne le porte-parole des "Shottas".

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