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"Bonjour Monsieur, contrôle de la PAF". Encerclé par quatre agents de la police aux frontières en étrange tenue de sport, le vieil homme, hébété, ne pense pas à lâcher la bouilloire qu'il réparait, accroupi de bon matin sur un trottoir de Mamoudzou, la principale ville de Mayotte.
Ibrahime, 55 ans, originaire du Burundi, tend un papier froissé, sa demande de titre de séjour. Après un coup de fil des policiers à la préfecture, il apprendra, encore plus surpris, que cette demande a été rejetée il y a tout juste une semaine. Personne ne le lui avait dit.
A la faveur de cette erreur, les policiers du GAO (Groupe d'Appui Opérationnel) le laissent libre.
Toute l'île connaît cette unité de la PAF, unique en France. Ici, elle a été rebaptisée "police baskets", pour les chaussures de sport que sa soixantaine d'agents sont dérogatoirement autorisés à porter avec le treillis bleu, et un maillot anti-transpiration noir floqué d'un guépard.
"Celui qui court le plus vite", explique à l'AFP le chef de groupe, le major Bruno.
Pour "nous, la mission, c'est l'interpellation, en entrant dans les quartiers, villages, en allant dans les champs", explique le fonctionnaire qui a rejoint l'unité en 2019.
L'unité sillonne tous les jours l'intégralité du territoire, en voiture ou à pied, et pratique le "saute dessus" sur des individus suspectés d'être en situation irrégulière.
A Mayotte, la moitié des 350.000 habitants estimés ne possède pas la nationalité française.
- "Autant qui rentre" -
Le GAO, malgré ses dizaines d'interpellations réalisées par jour, vide l'océan de cette situation inextricable à la petite cuillère.
Dans son véhicule blindé pour résister aux caillassages, le major Bruno s'enfonce dans les ruelles plombées de chaleur du centre de Mamoudzou, avec ses deux agents, Mehdi et Abdoul, un Mahorais qui lui sert d'expert et d'interprète si besoin.
L'équipage est concentré. Les yeux cillent à peine, fixés sur la foule.
Aucun des agents ne reconnaît choisir ses cibles "au faciès". Ils parleront tous d'un profilage, en fonction de "l'attitude", "fuyante ou apeurée", ou concèderont se baser sur des critères "vestimentaires", pour déceler les ESI, les Étrangers en situation irrégulière.
Une centaine de contrôles et une soixantaine d'interpellations par jour: l'une des particularités du GAO est également son objectif de chiffre assumé.
"C'est la multiplicité des contrôles qui renforce les chances de trouver des ESI", admet son responsable.
"On peut parfois avoir l'impression que ce que l'on fait ne sert à rien car on en interpelle une soixantaine mais il y a autant qui rentre en kwassa (embarcations de migrants venus principalement des Comores, NDLR) le même jour. Mais on a un travail à faire et on le fait", souffle le major Bruno.
- "Fuir la misère" -
Depuis le début de l'opération Wuambushu le 25 avril, qui s'était pourtant donnée comme mission première d'intensifier les expulsions, l'unité "travaille en mode dégradé", limitant les interpellations.
Car avec le refus des Comores de reprendre les migrants expulsés de Mayotte, jusqu'à plusieurs dizaines par jours d'ordinaire, le Centre de Rétention administratif, aux 136 places, est saturé.
Depuis une semaine, chaque personne sans papiers contrôlée se voit donc délivrer une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) sous un mois et repart généralement libre.
Abdoulaye, Sénégalais de 20 ans arrivé il y a un mois sur l'île française, a cru voir son rêve s'arrêter en moins de cinq minutes.
Le temps qu'il a fallu aux hommes du GAO pour le repérer sur un "taxi moto", le faire descendre, constater son absence de titre de séjour ou de demande en cours, puis de le menotter pour l'emmener au "panier", un utilitaire stationné au rond-point qui partira vers le commissariat seulement quand il sera "plein".
"On est prêt à se suicider dans la mer pour venir ici", dit le jeune homme qui dit souffrir de problèmes de santé, et qui a fait "un voyage compliqué" à travers le continent africain pour rejoindre depuis Dakar, sur l'Atlantique, l'île française de l'océan Indien.
Les agents Bruno, Mehdi et Abdoul, écoutent. "On a conscience que ce ne sont pas des bandits ni des criminels, on serait à leur place, on aurait fait la même chose. Ce sont des personnes qui fuient la misère de leur pays, c'est tout. Donc on reste courtois, on reste polis", dit le major.