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A Sloviansk et Kramatorsk, les évacuations se poursuivent avant l'offensive russe

En bus ou en train, des habitants des villes jumelles de Kramatorsk et Sloviansk continuent d'être évacués avant une offensive russe qu'on annonce imminente et massive sur cette région de l'Est de l'Ukraine.

Vers 08H00 ce mardi pluvieux, un bus vert et jaune aux couleurs du FC Kramatorsk, équipe de deuxième division du championnat ukrainien de football, attend une cinquantaine de passagers. Il a été affrété par une église chrétienne.

On vient de Kramatorsk ou de villages voisins. Les visages sont graves, inquiets et surtout tristes.

Le front n'est qu'à 50 km au nord, autant à l'est et au sud. Il risque de se rapprocher encore dans les prochains jours: Kramatorsk et Sloviansk seraient alors prises en tenaille.

L'ouest est la seule échappatoire.

Les hommes viennent en voiture déposer épouse et enfants, parents ou grands-parents.

Une famille débarque d'un taxi: une fillette tient fermement sous son bras une grosse boîte en plastique transparente. Dedans s'agite un chat noir et blanc apeuré.

Valentina Oleynikova, 82 ans, part avec son mari. Elle est en colère et ne comprend pas.

"Tous mes parents sont originaires de Russie, j'y suis née. Mon père et ma mère aussi. J'ai de la famille partout en Russie. Ici, dans le Donbass et à Kramatorsk, vivent des personnes de toutes les nationalités (...) Où a-t-il vu des nazis ?", demande-t-elle en référence au président russe Vladimir Poutine, qui justifie l'invasion de l'Ukraine par une prétendue volonté de "dénazifier" le pays.

- "Inhumain"-

"Ce qui se passe est inhumain, c'est un fasciste. Je ne sais pas comment l'appeler. Un diable incarné", s'emporte-elle encore.

"Maintenant nous apprenons qu'il y a un convoi de 12 kilomètres prêt à attaquer le Donbass. Ils sont inhumains !"

"Nous allons chez la soeur de mon mari", ajoute-elle, pressée par ce dernier de monter dans le bus.

La soute est pleine. C'est l'heure du départ, de la séparation. A travers la vitre, le petit-fils de Valentina lui fait signe pour qu'ils s'appellent au téléphone.

Dans le bus qui commence à rouler, une femme essuie ses larmes, une autre reçoit un appel, d'autres encore envoient des messages. Les yeux sont rivés aux téléphones portables, les visages fermés, pensifs.

Depuis l'attaque de la gare de Kramatorsk qui a fait 57 morts vendredi, celle-ci est fermée. Les évacuations par train se font désormais depuis Sloviansk, une dizaine de kilomètres au nord.

Deux ou trois trains en partent chaque jour. Dimanche, 2.700 personnes ont été évacuées et 1.100 autres lundi, selon Svetlana Biletska, la cheffe de gare.

Vers 11H00 ce mardi, un premier train doit partir. A son bord, autour de 300 personnes.

Dans les trois halls de la gare, c'est l'effervescence. Au guichet n°1, le seul ouvert, Natalia, qui ne souhaite pas donner son nom de famille, renseigne, rassure et vend des billets à 200 hryvnia (environ 6 euros) pour Dnipro, 200 km à l'ouest.

"Mais nous avons rajouté des wagons gratuits", ajoute la guichetière: "Certaines familles partent, mais beaucoup restent. Ils ne veulent pas quitter leurs proches et leurs maisons".

- "Quelque chose me retient ici" -

Va-t-elle rester elle aussi ? "Je n'ai plus peur (...) Quelque chose me retient ici, je ne sais comment l'expliquer. Nous travaillons pour les chemins de fer, donc nous sommes aussi solides que des rails", lance-t-elle.

Un long train aux 12 wagons bleus délavés vient d'arriver: le temps pour la locomotive de faire demi-tour et les évacués peuvent embarquer.

Une vieille dame est un peu perdue: elle doit aller à Vinnytsia, dans le centre du pays, mais pour cela devra faire un changement. "Il faudra prendre un autre train soit à Kiev, soit à Lviv", la rassure l'agente en gilet orange qui guide les passagers.

Au pied du train à quai, Nadia Jijounas, 44 ans, dit un dernier au revoir à son mari. Les yeux rougis, le couple s'enlace de longues minutes.

"Nous avons pris la décision hier. Je voulais rester avec mon mari mais je dois partir et il restera là. Nous voulions traverser cela ensemble, c'est effrayant", dit-elle à l'AFP.

"C'est terriblement difficile de partir. Je n'ai aucune idée de quand nous serons de nouveau ensemble. Nous devons d'abord survivre", ajoute-elle. A travers la fenêtre, elle forme avec pouces et index un coeur vers son mari.

Le train part, s'arrête. Une famille retardataire, avec enfants, court à travers les voies pour monter à bord.

Le long convoi quitte enfin la gare. Direction Kiev, arrivée prévue dans douze heures. Désormais loin de la guerre.

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