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S'opposer à un collègue violent, un "devoir" à haut risque pour les policiers américains

En 2006, Cariol Horne s'était interposée quand un collègue avait commencé à étrangler un suspect noir. "Quinze ans d'enfer" ont suivi pour cette policière afro-américaine, punie par sa hiérarchie pour être sortie du rang.

Aux Etats-Unis, les policiers ont un "devoir d'intervenir" quand un autre agent dérape en leur présence et peuvent être poursuivis s'ils s'en affranchissent, selon une jurisprudence élaborée par les tribunaux il y a un demi-siècle.

Trois anciens membres des forces de l'ordre de Minneapolis sont actuellement jugés dans ce cadre: la justice fédérale leur reproche d'être restés de marbre lors de l'agonie, en mai 2020, de l'Afro-Américain George Floyd, étouffé sous le genou d'un de leur collègue.

Sur la vidéo du drame, qui a fait le tour du monde et déclenché d'immenses manifestations, leur passivité a quasiment autant choqué que l'attitude de leur confrère.

Face à cette émotion, de nombreuses municipalités ont modifié leurs statuts pour inscrire noir sur blanc "le devoir d'intervenir" de leurs agents et lui donner plus de poids. Selon le site "useofforceproject", 72 des 100 plus importantes forces de police du pays ont désormais cette clause, contre 51 avant la mort de George Floyd.

Mais pour De Lacy Davis, un ancien policier qui a fondé l'association Black cops against police brutality, ces réformes sont uniquement "cosmétiques". Elles ne serviront à rien sans un changement de fond dans la "culture des forces de l'ordre" qui, estime-t-il, n'ont pas du tout l'intention de briser "le mur bleu du silence".

- "Coup de poing" -

Cette expression fait référence à la couleur des uniformes et implique une solidarité totale des policiers même envers les brebis galeuses. Et gare à qui ose s'en affranchir.

Cariol Horne en a fait l'amère expérience.

En 2006, policière à Buffalo dans l'Etat de New York, elle voit un collègue "se jeter" sur un quinquagénaire noir lors d'une interpellation et "tenter de l'étrangler".

"Je suis intervenue et il m'a envoyé un coup de poing dans la tête", raconte-t-elle à l'AFP.

Une bagarre s'ensuit et paradoxalement, "c'est moi qui me suis retrouvée l'objet d'une enquête".

Après une longue procédure, la policière est licenciée en 2008, juste avant d'atteindre les 20 ans d'ancienneté qui lui auraient donné droit à une pension.

"J'avais encore des enfants à charge et ils m'ont retiré toute ressource, j'ai été obligée de demander des aides publiques". Révoltée par l'injustice de la situation, "j'ai fait une dépression", confie-t-elle, en évoquant "quinze années d'enfer" mais aussi "de luttes" pour être réhabilitée.

- "Corriger une erreur" -

En 2018, son ancien collègue est condamné à de la prison ferme pour des violences contre quatre adolescents noirs.

Le meurtre de George Floyd redonne de l'écho à son dossier et à l'automne 2020, la mairie de Buffalo adopte une régulation surnommée "loi Cariol" pour obliger les policiers à s'interposer en cas d'abus, mais aussi pour les protéger des représailles.

Finalement, en 2021, un juge invalide son licenciement et lui redonne ses droits à la retraite. "Si on ne peut pas donner une nouvelle chance à Eric Garner ou George Floyd, au moins ici, on peut corriger une erreur", a justifié le magistrat Dennis Ward.

En 2014, Eric Garner avait succombé à une prise d'étranglement effectué par un policier new-yorkais en implorant : "je ne peux pas respirer".

Aujourd'hui, Cariol Horne attend toujours les versements de sa pension et suit le procès des trois anciens agents de Minneapolis sans "grandes attentes".

Même si le tribunal envoie un message en les condamnant, "cela ne servira à rien s'il n'y a pas de mécanismes pour protéger les agents" qui osent s'interposer, dit-elle, en prônant l'adoption de "lois Cariol" dans tout le pays.

Malgré le prix payé, elle reste convaincue d'avoir fait le bon choix. "Je ne regretterai jamais d'être intervenue pour sauver la vie d'un homme".

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