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Saida doit payer 1.000€ à un avocat "sans travail de sa part": peut-elle contester ces honoraires?

Dans le cadre d’un divorce, une habitante de Farciennes a contacté un avocat. Pas satisfaite de son travail, Saida a mis rapidement fin à son intervention, mais elle a quand même dû payer environ 1.000 euros. Pour cette enseignante, c’est un "escroc" qui a profité de sa fragilité émotionnelle. Qu’en est-il exactement ? Les honoraires des avocats sont-ils libres ou réglementés ? Est-ce possible de les contester ? 

"Pour moi, c’est un escroc qui a profité de mon état de faiblesse", s’indigne Saida via notre bouton orange Alertez-nous.  "J’ai été arnaquée par un avocat. J’ai dû payer au total 1.000 euros pour avoir au final une consultation d’une heure, sans travail de sa part", déplore cette habitante de Farciennes, dans le Hainaut. 

Tout commence au début de l’année. Fin janvier, cette mère de quatre enfants contacte un avocat alors qu’elle se trouve dans une situation conjugale difficile. "Je me suis mariée au Maroc avec un homme plus jeune que moi. Il est revenu avec moi en Belgique au mois d’août dernier. Et, quelques mois plus tard, ça n’allait déjà plus", explique Saida. Fin janvier, elle décide de demander le divorce. "Dans le cadre d’une procédure de divorce, j’ai donc contacté un avocat que je connaissais car il était déjà intervenu pour mon fils auprès de son école pour éviter un renvoi définitif", ajoute-t-elle. 

Il m’a réclamé 200 euros, j’étais vraiment étonnée

Selon cette enseignante, elle prend rendez-vous avec cet avocat le 25 janvier dans son cabinet privé. "Je n’étais pas dans mon assiette, j’étais très déprimée", confie Saida. D’après elle, l’avocat l’écoute et s’engage à ouvrir un dossier de divorce. "Il m’a dit qu’il allait entreprendre des démarches auprès du tribunal de la famille afin de demander des mesures urgentes d’éloignement pour mon mari qui avait déjà quitté mon domicile", assure la mère de famille. "Je suis restée moins d’une heure dans son cabinet. A la fin de la consultation, il m’a fait payer pour la séance 190 euros en cash. En fait, il me réclamait 200 euros, mais je n’avais sur moi que 190 euros", raconte Saida. Selon elle, le montant de l’honoraire est une surprise. "J’étais vraiment étonnée parce que, quand j’ai fait appel à lui pour mon fils, j’avais payé 50 euros à la première séance. Mais il m’a dit que c’est un dossier compliqué, un divorce difficile", assure la Hennuyère. D’après elle, l’avocat lui demande de payer également une première provision de 726 euros. 

Comme promis, Saida lui envoie rapidement son extrait d’acte de mariage. "Et puis, c’est le silence radio. Je l’ai appelé plusieurs fois et il a fini par envoyer un email en disant que "la procédure suit son cours"", raconte-t-elle. 

La deuxième consultation se passe mal 

L’enseignante affirme ne plus avoir eu des nouvelles jusque mi-février. A ce moment-là, Saida envoie un message à son avocat pour lui demander de suspendre la procédure, suite à une réconciliation avec son mari. "Mais je ne lui ai pas dit de l’arrêter car j’avais des doutes". Une inquiétude qui se confirme. Dix jours plus tard, après un incident, la mère de famille envoie un email à son avocat pour relancer les démarches. "Le 24 février, je suis allée à son cabinet. Il ne se souvenait déjà plus de mon dossier. En fait, il n’avait rien fait alors qu’il m’avait promis qu’il allait s’engager auprès du tribunal. Avec un ton hautain, il m’a dit que les paroles s’envolent. Je lui ai alors fait remarquer que j’avais payé 1.000 euros pour m’entendre dire ça. Il m’a alors rendu tous mes papiers, en me disant que de toute façon mon dossier est trop compliqué", soutient Saida. "Et il a encore eu l’audace de me demander 200 euros pour cette deuxième consultation qui a duré à peine 20 minutes. J’étais scotchée. En partant, je lui ai dit que c’était un escroc", ajoute-t-elle. 

Cet avocat est-il réellement un « escroc » ? Le tarif de 200 euros demandé lors de la première consultation est-il légal ?

Il y avait des barèmes, mais c’est désormais interdit 

Tout d’abord, il faut savoir qu’il n’existe pas de barèmes à respecter. L’avocat est un professionnel libéral qui fixe librement le montant de ses honoraires. "Auparavant, il y avait des barèmes, mais c’est désormais interdit par la législation européenne. Chaque avocat a le droit d’avoir un tarif qui correspond à la qualité de son travail ou à sa compétence particulière. En général, les tarifs des avocats oscillent entre 100 et 300 euros de l’heure. Mais il y a des avocats qui demandent 600 ou 700 euros de l’heure, dans des gros cabinets notamment ", explique Marc Isgour, avocat du barreau de Bruxelles et membre du conseil de l’ordre.

La somme demandée doit donc être en adéquation avec l’enjeu du litige. "Si une consultation avec un avocat spécialisé a permis au client d’économiser 20.000 ou 30.000 euros, cela ne me parait pas totalement déraisonnable de dire que l’avocat peut réclamer 1.000 euros d’honoraires", estime Marc Isgour.

Le client doit être informé des tarifs au préalable 

Le membre du Conseil souligne toutefois une règle importante à respecter. "Les avocats doivent informer les clients de leurs tarifs avant le début de la consultation en principe. C’est une obligation d’information au préalable. Si l’avocat n’avait pas informé préalablement sur la méthode de calcul de ses honoraires, là il y a un problème", indique Marc Isgour. 

Une obligation confirmée par Xavier Borne, ancien bâtonnier du barreau de Charleroi. "Un avocat doit faire signer une convention d’honoraires par son client au début du dossier. C’est prévu par les règlements déontologiques". 

Plutôt une tarification à l’heure qu’un forfait 

D’après cet avocat expérimenté, ce sont habituellement des tarifications à l’heure. "Dans les affaires familiales, la plupart du temps, on ne peut pas fixer un forfait parce qu’il y a des interventions du client très fréquentes, beaucoup de mails, énormément de prestations diverses et c’est très difficile d’établir un forfait", indique Xavier Borne. 

D’après Saida, l’avocat en question lui a bien fait signer lors de la première consultation plusieurs documents, dont une convention d’honoraires. Mais elle ne s’attendait pas à un tel montant en arrivant au rendez-vous. 

Pour l’ancien bâtonnier du barreau de Charleroi, le fait de demander des provisions est quasiment une nécessité. "L’avocat demande une provision tous les x temps. Sinon, après un an ou deux, on arrive avec un état total assommoir qui étourdit le client. Tandis que les provisions, qui sont détaillées, permettent de suivre. Et quand le dossier est terminé, on fait le récapitulatif de toutes les heures prestées et ces provisions sont déduites", explique Xavier Borne. 

Pas contente, Saida rencontre un ombudsman du barreau 

En tout cas, après la deuxième consultation qui met un terme à leur collaboration, la mère de famille se sent vraiment lésée. Saida décide dès lors de se rendre au tribunal pour évoquer sa situation. "J’ai eu un rendez-vous avec un ombudsman qui est une sorte de conciliateur. Il a écouté et pris des notes", se souvient l’enseignante. 

Au barreau de Charleroi, trois avocats endossent le rôle d’ombudsman depuis le début de cette année. Maitre Xavier Borne est l’un d’entre eux. Ce service accessible à tout justiciable, que ce soit un particulier ou une société, est gratuit. "Comme ombudsman, on essaie de réduire les écarts, de ramener un peu d’entente, de la communication entre les avocats et les clients. C’est souvent des questions d’honoraires ou des problèmes de communication. L’avocat qui ne tient pas au courant son client ou qui demande des honoraires qui ne sont pas justifiés. Mais les avocats ne sont pas toujours condamnables", explique l’avocat. 

J’ai fort insisté auprès de cet avocat pour qu’il réduise son état

C’est lui qui a justement rencontré Saida. "Elle n’avait aucune agressivité envers l’avocat en question. Je l’ai écoutée et j’ai pris toutes les notes", confirme Xavier Borne qui a ensuite appelé l’avocat incriminé. « Il m’a expliqué un certain nombre de choses. Il y avait des renseignements différents, notamment un petit différentiel sur les montants. Le problème surtout, c’est que l’avocat prétendait avoir fait une citation en divorce qu’il n’avait pas faite, en tout cas, il ne l’a pas soumise à la cliente. Moi, j’ai fort insisté auprès de cet avocat pour qu’il réduise son état. Il a estimé ne pas devoir le faire. Comme ombudsman, je n’ai pas de pouvoir de coercition. J’ai donc dû transmettre ce refus à la cliente en lui disant que je le regrettais parce que je pense qu’il y avait lieu de réduire certainement", relate Xavier Borne.

L’enseignante est déçue quand elle apprend que l’avocat refuse de rembourser quoi que ce soit. "Ce n’est quand même pas normal que je paie 1.000 euros pour rien", s’enflamme-t-elle.

L’ombudsman comprend son indignation. "Je trouve qu’elle avait raison de réagir. A mon sens, la provision n’était pas adaptée et supérieure au travail déjà effectué et ce qu’il ne devait plus faire puisque la cliente mettait fin à son intervention", estime l’ancien bâtonnier. 

Dernière contestation possible: la commission des honoraires 

Xavier Borne lui recommande alors de saisir la commission des honoraires qui existe au sein du conseil de l’ordre."J’ai présidé cette commission pendant des années et elle fait un travail excellent. Elle interroge les avocats et va au fond des choses. Il ne faut surtout pas croire qu’il existe du favoritisme, du parti pris ou du corporatisme", assure l’ombudsman.

Marc Isgour est justement membre du conseil de l’ordre au barreau de Bruxelles. Il confirme que le conseil va apprécier si les honoraires demandés par l’avocat sont conformes à une juste modération et s’il y a eu une information préalable. "Par exemple, s’il y a un avocat qui demande 250 heures pour faire des conclusions qui font 20 pages, on va considérer que 250 heures c’est beaucoup trop pour rédiger des conclusions assez simples. Donc, on peut réduire à la fois le taux horaire mais aussi le nombre d’heures réclamées. C’est dans le pouvoir du conseil de l’ordre". 

Si le paiement est effectué, ce sera plus difficile de contester

Selon lui, il y a régulièrement des contestations, mais c’est relativement rare que les honoraires soient finalement réduits. "Souvent, c’est de la mauvaise foi de la part du client qui ne veut pas payer. Concernant le taux horaire, on a rarement des prix totalement délirants", assure l’avocat. 

En tout cas, Marc Isgour conseille de ne pas payer des honoraires en cas de désaccord. "Si le paiement est effectué, ce sera plus difficile de contester parce que, si la personne a payé, c’est qu’elle a marqué son accord, à moins qu’elle ait été séquestrée et qu’elle ne pouvait pas sortir tant qu’elle n’avait pas payé". 

Malgré des doutes quant à une issue favorable à son égard, Saida compte bien contester auprès de la commission des honoraires. "Je n’ai pas beaucoup d’espoir, mais je me dis que quelque part si j’arrive à signaler cet individu, c’est déjà ça. Ce qui me va loin, c’est que j’étais au fond du gouffre et qu’il a profité de cette situation pour l’argent. C’est quand même incroyable", déplore la mère de famille. 

Entre-temps, elle a consulté un autre avocat pour entamer les démarches pour son divorce. "Il m’a demandé 50 euros pour la première séance. Ensuite, j’ai payé 650 euros de provision. Et sur la semaine même, j’ai eu mon rendez-vous au tribunal de la famille. Il est très clair sur les prochaines étapes. Et, selon lui, un tel divorce n’est pas compliqué", assure Saida qui ne peut s’empêcher de se sentir "flouée". 

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