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Faut-il retirer les statues du roi Léopold II? "Il faut toucher toutes les strates de la société belge pour changer les mentalités"

La mort de George Floyd aux Etats-Unis a rouvert les plaies du passé colonial belge au Congo. A Bruxelles, Anvers ou encore Gand, les statues du roi Léopold II ont été taggées, recouvertes de peinture rouge ou retirées.

Les actes de vandalisme visant les statues les statues du roi Léopold II ainsi que les pétitions réclamant leur retrait de l'espace public - ou leur maintien - se sont multipliés ces derniers jours dans la foulée des manifestations en mémoire de George Floyd et plus généralement contre le racisme institutionnel et les injustices dont sont victimes nombre de personnes de couleur non seulement dans le monde mais également en Belgique.

Le débat sur la présence de tels monuments dans l'espace public et plus largement sur le passé colonial de la Belgique et le rôle du deuxième souverain belge - Roi bâtisseur pour les uns, figure du colonialisme dans ce qu'il a de plus terrible pour les autres - resurgit à intervalles réguliers. 

 Le mouvement a cependant trouvé un nouveau souffle dans la foulée du décès de George Floyd, un homme de 46 ans asphyxié lors de son interpellation par un policier blanc le 25 mai dernier à Minneapolis. Des voix se sont alors élevées un peu partout dans le monde mais aussi en Belgique pour réclamer non seulement justice pour cet Afro-Américain mais plus largement pour tous les personnes de couleurs injustement discriminées, et ce notamment au travers du mouvement "Black Lives Matter" (La vie des Noirs compte, ndlr.). 

Le groupe "Réparons l'Histoire" a ainsi lancé la semaine dernière une pétition qui a réuni 60.000 signatures en faveur du retrait des statues du roi Léopold II sur le territoire de la ville de Bruxelles, l'Université de Mons (UMons) a retiré pour sa part un buste du deuxième roi des Belges de ses locaux tandis qu'Anvers procédait également au retrait d'une statue vandalisée de l'ancien monarque. Une pétition réclamant le retrait d'une statue de Léopold II à Arlon circule également, alors qu'une autre réclame leur maintien.

Pour Bob Kabamba, professeur de science politique, tagger et déboulonner les statues ne va pas faire changer les mentalités. "C’est tout un travail de fond qui est important, c’est tout un travail de contextualisation et de réécriture de l’Histoire: Lorsque l’on regarde l’histoire coloniale belge, elle est écrite par la Belgique mais elle n’est pas enseignée avec la dimension congolaise qui est importante. Lorsque l’on arrivera à réécrire ces deux histoires, là je pense qu’on aura fait un pas en avant et ce ne sera pas nécessaire de déboulonner. Lorsque l’on parle du roi Leopold II, on parle du Roi Bâtisseur. Ok, c’est un roi bâtisseur mais si on ajoutait qu’une bonne partie de ce qu’il a bâti a été construit sur base de ce qu’il a tiré de l’exploitation de l’Etat indépendant du Congo", a expliqué le professeur. "Je pense que c’est ce genre de procédés qui peut permettre de relativiser et à arriver à avoir une histoire commune: C’est une histoire belge mais c’est aussi une histoire congolaise. En arrivant à faire cette histoire commune, on fait un grand pas pour lutter contre le racisme mais aussi vers un changement des mentalités", a précisé Bob Kabamba.

"Au Congo on enseigne l’Histoire belge et l’histoire de la colonisation mais au niveau belge ce n’est pas le cas", a déploré l’homme pour qui il est primordial de raconter cette histoire en tenant compte de ce qu’ont vécu les Congolais. "Il faut que ça touche toutes les strates de la société belge pour arriver à changer les mentalités, ce qui est indispensable pour avoir une vie pacifique entre les différentes communautés qui constituent la société belge", dit-il.

La ministre de l'Éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir (PS), rappelait pour sa part sa volonté de rendre obligatoires les cours sur l'histoire du Congo et de la colonisation dans tous les réseaux et toutes les filières de l'enseignement francophone.

Le secrétaire d'Etat bruxellois Pascal Smet (one.brussels/sp.a), en charge de l'Urbanisme et du Patrimoine proposera, quant à lui, au gouvernement bruxellois de mettre sur pied un groupe de travail chargé de se prononcer sur le sort à réserver aux références, dans la capitale, au roi Léopold II. 

Des initiatives saluées par Serge Jaumin, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Libre de Bruxelles (ULB), qui se réjouit qu'un tel débat puisse avoir lieu. Cette question dépasse toutefois la sphère des historiens qui sont là "pour éclairer le débat mais pas pour trancher", souligne l'historien pour qui "cette question est aussi et surtout politique." 

Il est en effet normal d'avoir un tel débat car la société évolue, poursuit l'expert qui comprend qu'un certain nombre de personnes puissent être indisposées par de telles références alors qu'on est au 21e siècle. Plusieurs options sont alors sur la table pour l'historien: soit on privilégie le statu quo, soit on ajoute une notice explicative aux monuments incriminés, soit on procède à la décolonisation de l'espace public en ajoutant d'autres statues ou en renommant certaines rues...

La quatrième option, qui n'a cependant pas les faveurs de l'historien, consisterait à faire disparaître purement et simplement toute trace de cette histoire. 

Ce qu'il faut, poursuit Serge Jaumin, c'est trouver "un juste milieu' tout en reconnaissant "qu'il faut pouvoir entendre ceux que cela choque".

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