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Pas assez d'aide-ménagères: "Nous pouvons engager 40 personnes demain" dit Lorence, gérante d’agences de titres-services

La co-gérante de deux agences de titres-services dans le Brabant wallon est désespérée. Alors qu’elle pourrait donner du travail à 40 personnes, aucun candidat ne semble disponible. Comment expliquer cette pénurie d’aide-ménagères ? Et quelle est son étendue ?

"Nous ne savons plus à quelle porte frapper", confie Lorence, via notre bouton orange Alertez-nous. Elle travaille comme co-gérante de deux sociétés de titres-services situées dans le Brabant wallon. L’une se situe à Genval, l’autre à Ottignies.

Depuis quelques mois, Lorence et ses trois collègues qui gèrent ces agences se retrouvent face à un problème de taille : elles ne parviennent pas à recruter des travailleurs/euses. "Nous avons contacté les agences locales de l'emploi, le Forem, Actiris, des asbl d'accompagnement vers l'emploi, sans succès", déplore-t-elle.

Aujourd'hui, nous pouvons engager 40 personnes qui peuvent toutes commencer demain

Pourtant, les besoins sont réels. "Aujourd'hui, nous pouvons engager 40 personnes qui peuvent toutes commencer demain. Dans notre secteur, les titres-services, depuis que le Covid se calme et qu'un semblant de vie normale redevient réelle, les demandes de clients affluent. Ils retournent au travail ou sont dans des moments de vie compliqués. Ils ont besoin d'aide, font appel à nous, et nous ne parvenons pas à les aider", regrette Lorence. "Nous ne pouvons pas penser que personne ne cherche un emploi actuellement, ce n’est pas possible", ajoute-t-elle avec étonnement.

Cette situation particulière plutôt interpellante suscite des interrogations. D’autres entreprises qui emploient des aide-ménagères connaissent-elles le même souci ? Est-ce que tout le secteur des titres-services est touché par cette pénurie ?

"Une pénurie généralisée de plus en plus criante"

"Pour le métier d’aide-ménagère, il est difficile de recruter des candidats. C’est un grand classique. C’est un problème connu depuis l’origine", répond sans hésiter Arnaud Le Grelle, directeur Wallonie-Bruxelles de Federgon, la fédération en charge des titres-services. Mais, selon lui, cette pénurie est de plus en plus criante. "Plusieurs sociétés de titres-services nous disent que si elles avaient x % de travailleuses supplémentaires, elles pourraient rapidement les mettre au travail", relaye-t-il.

Tous les mois, on a des soucis d’absentéisme et d’engagements

"C’est une pénurie généralisée, peut-être un peu plus marquée dans certaines régions", confirme Estelle Linnekens, aide-ménagère et gérante d’une agence de titres-services à Flémalle, en région liégeoise. "Ma société est particulière parce qu’il s’agit d’une société de réinsertion professionnelle mais, tous les mois, on a des soucis d’absentéisme et d’engagements", confie cette déléguée syndicale.

Visiblement, ce manque de personnel concerne donc la majorité des entreprises du secteur qui emploie actuellement environ 150.000 travailleurs/euses (98% de femmes et 2% d’hommes) pour plus d’un million d’utilisateurs.

"Il n’existe pas de données chiffrées concernant les offres d’emploi qui ne trouvent pas preneur. Cela dépend un peu des sociétés et à mon avis aussi d’une région à l’autre. C’est en tout cas un message assez récurrent dans le chef des entreprises qui se plaignent des difficultés à embaucher", assure également Benjamin Wéry, permanent syndical à la centrale FGTB de Liège, spécialisé dans le secteur des titres-services. D'après le Forem, le métier d'aide-ménagère est considéré comme "critique". 

Quelles sont les causes ? 

Alors comment expliquer cette pénurie ? Quelles en sont les causes ? Et pourquoi s’amplifie-t-elle ?

Tout d’abord, le directeur de Federgon revient sur la genèse du système des titres-services. "Dans les premières années de l’élaboration de ce système, cela a permis de blanchir des personnes qui travaillaient au noir. En général, ces travailleuses étaient déjà organisées, maitrisaient leur métier et étaient ravies d’être inclues dans un système avec une couverture maladie et une pension", explique Arnaud Le Grelle.

Le début de ce système remonte à une vingtaine d’années. "Nous avons donc déjà eu les départs en pension des premières générations d’aide-ménagères. Et parallèlement, les demandes des clients qui apprécient ce système ont augmenté. Il a donc fallu trouver un public de plus en plus éloigné dans le monde du travail avec le concours des différents services publics de l’emploi comme le Forem, Actiris ou Bruxelles formation", indique le directeur.

Le développement du secteur est entravé par cet accompagnement

D’après lui, l’encadrement et la formation des candidates peut dès lors prendre du temps, parfois plusieurs mois. "Le développement du secteur est entravé par cet accompagnement. Et les services publics de l’emploi pourraient activer plus de personnes mais ils ne disposent pas des moyens humains nécessaires pour le faire", regrette-t-il.

"Les succès sont donc modestes parce que pour beaucoup de gens, on peut le déplorer mais c’est comme ça, c’est un métier à bas salaire qui reste peu attractif. Et puis, c’est un métier qui n’est pas ouvert à tous. Il faut avoir un esprit particulier, aimer par exemple travailler seul en respectant un impératif de temps", ajoute Arnaud Le Grelle.

Un salaire trop bas et des déplacements stressants 

De son côté, le permanent syndical à la centrale FGTB insiste surtout sur les freins compréhensibles qui engendrent cette pénurie. "On a parfois tendance du côté de l’employeur à pointer uniquement le comportement des demandeurs d’emploi ou le fait que le Forem ne dirige pas assez vers le secteur. Mais je pense que derrière ça il y a aussi surtout les conditions de travail proposées", souligne Benjamin Wéry.

Premièrement, le secteur demeure fort précaire en termes de salaire. "Généralement, les entreprises de titres-services proposent des contrats à mi-temps. Et donc, si c’est pour travailler à 12 euros de l’heure, à raison de 19 heures, ce n’est pas cet emploi qui va permettre au demandeur d’emploi de se réinsérer réellement et de pouvoir subvenir à ses besoins", déplore le syndicaliste.

On commence à 9 euros de l’heure pour arriver péniblement à 12 euros

"Le salaire n’est pas hyper attrayant. On commence à 9 euros de l’heure pour arriver péniblement à 12 euros après x années", confirme Estelle Linnekens qui pointe du doigt un autre problème : les déplacements inévitables.

"Les travailleuses n’ont souvent pas de moyens de locomotion et utilisent les transports en commun ou un vélo. Quand vous commencez chez un client au point A et que vous devez vous rendre chez un autre au pont B l’après-midi en respectant les horaires alors que les transports sont souvent en retard, c’est compliqué et stressant", souligne la gérante.

"On connaît les soucis de mobilité, que ce soit en ville ou à la campagne, c’est difficile. Il y a des kilomètres à parcourir pour aller d’un client à l’autre. Tous les demandeurs d’emploi ne disposent pas de solution de mobilité, de véhicule, etc. Sans parler du prix de l’essence qui augmente et représente un coût non-négligeable", abonde Benjamin Wéry.

Beaucoup de maladies longue durée

Aide-ménagère, c’est également un métier plutôt physique qui peut entraîner des blessures comme des maux de dos. Certaines n’ont plus la capacité de reprendre leur activité. "Beaucoup de travailleuses sont en maladie. Je reçois beaucoup de certificats médicaux. Du coup, elles passent sur la mutuelle et sont en décrochage complet. Elles passent en maladie longue durée et il faut les remplacer", confie Estelle Linnekens.

Ce facteur de pénibilité crée ainsi une forme de turnover et de demande perpétuelle de main d’œuvre dans le secteur.

Elles partent pour des raisons de santé ou psychologiques 

"Le principal problème, c’est que nous sommes majoritairement des femmes qui effectuons un travail très pénible. Même celles qui rentrent dans le système des titres-services ne restent pas. Il existe un manque d’enthousiasme. C’est un métier peu gratifiant, dont l’image n’est pas très positive. Elles partent pour des raisons de santé ou psychologiques car les utilisateurs ne sont pas toujours comme dans les films, ils ne sont pas toujours sympas", assure la gérante de la société à Flémalle.

Une réalité que confirme le directeur de Federgon, tout en évoquant tout de même une certaine valorisation sociale : "Comme partout il y a des clients qui sont désagréables voire des harceleurs. Mais, lors de nos enquêtes, les aide-ménagères soulignent le lien qui existe avec le client, qui est tout à fait différent dans un bureau où la femme de ménage ne connaît pas vraiment les employés. C’est un rare métier où on leur dit "merci". Cette valorisation sociale par les familles est importante pour celles qui travaillent déjà dans le secteur".

En se basant sur sa propre expérience professionnelle, Estelle Linnekens tempère toutefois cette reconnaissance des utilisateurs. "C’est vrai qu’on peut tisser des liens avec eux. Mais même si on a le sentiment après plusieurs années d’être plus qu’un simple employé et d’être quelqu’un qui compte, on se rend compte que ce n’est pas de l’amitié. Certains utilisateurs, qui n’ont plus besoin de nous, ne nous le disent même pas et passent par le bureau. J’ai vécu cela moi-même plusieurs fois. C’est déprimant psychologiquement et cela arrive régulièrement".

Un métier qui comporte "aussi des avantages"

Pour motiver les candidats qu’elle recherche désespérément, Lorence tient également à souligner les avantages du métier. "Nous sommes bien sûr conscientes que travailler dans le secteur du nettoyage n'est peut être pas l'emploi le plus prisé, et pourtant il comporte aussi des avantages : un salaire correct, des facilités d'horaire, un travail uniquement de jour et en semaine, compatible avec la vie de famille et les horaires scolaires", énumère la gérante. 

On décide le nombre d’heures qu’on a envie de prester

Estelle Linnekens admet que la flexibilité des horaires est l’atout principal. "Dès le départ, on décide le nombre d’heures qu’on a envie de prester et on fait nos horaires comme on a envie, en fonction de sa situation. Par exemple, quand j’ai commencé, ma fille était en primaire. J’ai donc demandé de ne pas travailler les mercredis après-midi", indique la déléguée syndicale.

C’est ce qui ressort également des sondages menés par Federgon. "A leur niveau de qualification, elles estiment que ce métier leur permet d’avoir une bonne organisation entre vie privée et vie professionnelle. Une aide-ménagère qui travaille dans une entreprise doit généralement commencer très tôt ou tard", indique Arnaud Le Grelle.

Et le Covid, quel impact ? 

Et la crise sanitaire a-t-elle empiré la situation ?

Si le directeur de la fédération n’y voit qu’un faible impact sur la pénurie d’aide-ménagères, les avis des syndicalistes sont différents.

Selon Estelle Linnekens, la pandémie a amplifié le phénomène en raison des conditions de travail plus compliquées et les craintes ressenties par certaines travailleuses. "Au départ, après le premier confinement, des aide-ménagères ont dû travailler sans matériel de protection. Il y avait une différence entre les sociétés qui ont géré cette situation inédite de manière différente", soutient la déléguée syndicale.

D’après elle, beaucoup de travailleuses ont éprouvé des difficultés financières : "Les utilisateurs ont annulé les prestations et cela a été compliqué par les aide-ménagères qui se sont retrouvés avec un chômage temporaire corona très bas puisqu’elles travaillent majoritairement à mi-temps".

De son côté, Benjamin Wéry souligne l’impact de la crise du Covid sur l’activité du secteur. "Globalement, les entreprises s’en sont bien sorties parce qu’elles ont reçu beaucoup d’aides de la région wallonne. En tout cas les grosses sociétés n’ont pas dû subir des pertes financières, mais il y a eu un impact au niveau de l’activité. En 2020, des clients ont annulé les prestations en raison de la crise et il y a beaucoup d’heures de chômage subies par les travailleurs. Le secteur était quasi à l’arrêt pendant quelques mois", rappelle le permanent syndical.

Retour des utilisateurs, retour de la pénurie

Alors que les mesures sanitaires pour lutter contre le Covid s'assouplissent, les utilisateurs des titres-services reviennent en force. Même si le niveau d’activité n’est pas encore tout à fait revenu à celui de 2019, les demandes affluent et les candidats manquent.

Ce qui explique l’appel lancé par Lorence pour trouver des aide-ménagères. "Si, demain, des candidats se bousculent à notre porte, nous pouvons à tous leur proposer un emploi stable, un revenu, un contrat sur le long terme, en respectant leurs disponibilités, et encadrés avec toute la passion qui nous anime au quotidien", promet la gérante des agences Maison Net de Genval et celle d’Ottignies.

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