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Au procès du Rio-Paris, les mille victimes du crash

Pas 228 victimes, "mais beaucoup plus". Pendant cinq demi-journées au procès du Rio-Paris, des familles des passagers et membres d'équipage morts dans le crash de 2009 ont fait revivre leurs disparus, racontant aussi les dégâts irrémédiables sur leurs propres vies.

L'audience de mercredi a marqué la fin des témoignages des parties civiles qui ont "redonné de l'humain à ce procès", a estimé Philippe Linguet, vice-président de l'association Entraide et Solidarité AF447, en les remerciant à la barre.

Parfois avec une photo, souvent avec un texte préparé sur une feuille, ils ont relaté la vie de leurs proches, laissant pour beaucoup éclater leur colère et décrivant les ravages psychologiques et professionnels vécus depuis plus de treize ans.

"Je me souviendrai toujours de ce 1er juin 2009", a déclaré mercredi Lucas, qui en a parfois "des flashbacks".

"Ce jour-là, j'ai perdu ma mère, la seule que j'aurais pu avoir de toute ma vie. J'ai de la chance, il me reste encore mon père", a poursuivi d'une voix forte et embuée ce jeune homme de 19 ans, étudiant dans une grande école de commerce.

"Cette catastrophe a changé ma vie", a-t-il estimé, racontant la "solitude" de son enfance, le sentiment d'être "différent", celui de vivre encore aujourd'hui un deuil "que personne ne peut comprendre" et qui "ne sera jamais achevé".

"J'ai la chance d'avoir le soutien de ma famille, de mes amis, mes professeurs", a-t-il assuré. "J'espère qu'un jour, on pourra dire au Lucas d'aujourd'hui et au Lucas de 5 ans ce qui s'est passé ce jour-là, et comment ça a pu se produire".

"J'ai su la terrible tragédie par le biais des médias, par hasard", s'est rappelé Nahim. Celui qui a perdu son frère, sa belle-soeur et leurs deux très jeunes enfants a dû "annoncer" la nouvelle à sa famille: "un cauchemar".

"Deux ans après, on retrouve la carlingue. On croit remonter la pente et là on vous annonce qu'on a retrouvé votre frère, mais pas votre belle-sœur ni votre nièce. Donc on replonge", a-t-il décrit.

Pour ses parents, aujourd'hui "c'est très très compliqué", a-t-il résumé, parlant de sa mère "depuis treize ans sous anti-dépresseurs".

"On continue à vivre, mais c'est compliqué. Y a pas un jour où on pense pas à ça", a ajouté Nahim, qui a souligné que, s'il reprend l'avion, "jamais" il ne traversera l'Atlantique.

- Une "croix" depuis 13 ans -

Plus tard, c'est un père, son fils et ses deux filles, tous vêtus de noir, qui se tiennent debout, serrés, pour rendre hommage à Laurence, hôtesse de l'air sur l'AF447.

"On s'est beaucoup aimé, nous avons été très heureux ensemble", a notamment déclaré, très ému, Bruno Badens, le père - le couple s'était séparé "d'un commun accord et sans heurt".

Le crash a "bouleversé ma vie", a-t-il expliqué. "J'ai toujours été là pour (mes) enfants (...) j'ai essayé de bien faire, mais je n'ai jamais pu remplacer leur maman".

Il explique habiter non loin des locaux d'Airbus. "Je vis avec cette croix depuis 13 ans et je n'attends qu'une chose: regardez-les en face et demandez-leur pardon", a-t-il lancé d'une voix vibrante.

Son fils a décrit, dans un récit très imagé, cette journée du 1er juin. "L'enfant naïf que j'étais, qui voulait devenir astronaute (...) ce gosse est mort lui aussi ce jour-là."

Il a tenu à "honorer (la) mémoire" de sa mère, qui "nous aimait plus que tout", "une femme qui rayonnait d'une classe et d'une modestie rare", "faite" pour le métier d'hôtesse de l'air, qui avait "travaillé dur".

"J'ai été profondément dégradé au plus profond de mon âme par la perte de ma mère, mais je le suis encore plus aujourd'hui au vu du déroulement de ce procès", s'est-il emporté dans un plaidoyer final.

"Je réclame une sanction exemplaire qui marquera les esprits", a-t-il déclaré, "à la hauteur de l'exemplarité à laquelle tous ces gens aspirent, pour le bien des familles, d'Airbus, d'Air France, et de ses salariés".

Depuis le 10 octobre, Airbus et Air France sont jugés pour homicides involontaires. Le procès doit s'achever le 8 décembre.

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