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Belloubet ouvre le chantier délicat de la justice des mineurs

"Juger plus vite et mieux": la ministre de la Justice Nicole Belloubet a donné lundi le coup d'envoi de concertations pour réformer la justice des mineurs, avec pour ambition de présenter à l'automne un projet de code pénal pour l'enfance délinquante.

"J'ai fait le choix de prendre à bras le corps ce sujet de la réforme de l'ordonnance de 1945. Il me semble nécessaire de réécrire ce texte, dans une stratégie globale de protection de l'enfance", a déclaré Nicole Belloubet, en ouvrant une première table ronde à Savigny-sur-Orge (Essonne).

"Nous lançons les concertations avec les professionnels, nous travaillerons en lien avec le parlement. On se donne un délai de six mois après la promulgation de la loi de programmation de la justice, donc autour du 25 septembre, pour présenter un projet", a-t-elle expliqué.

Trois mois après l'annonce surprise et décriée d'une réforme par ordonnance de la justice des mineurs, la ministre a tenu à revenir aux sources: c'est à Savigny-sur-Orge qu'a été créé le premier centre d'évaluation des mineurs délinquants, symbole de la nouvelle orientation de la justice d'après-Guerre.

C'est dans ce lieu devenu un centre d'exposition, sorte de musée de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qu'a été forgée la conviction française de la nécessité d'un traitement spécifique de la délinquance juvénile, en partant moins de l'acte délictueux mais des raisons ayant poussé un enfant à le commettre pour mieux adapter la réponse pénale.

- Société "moins tolérante" -

La table ronde organisée à Savigny planche sur les pistes de réforme d'un système à bout de souffle: les délais de jugement sont trop longs (17 mois en moyenne), le nombre de mineurs incarcérés augmente avec près de 80% de jeunes en attente de jugement - c'est-à-dire présumés innocents.

Les mineurs sont-ils plus nombreux à tomber dans la délinquance? Pour l'avocate Dominique Attias, c'est surtout la société qui est "moins tolérante". Elle déplore le recours accru à la détention.

Un constat globalement partagé par Laetitia Dhervilly, vice-procureure chargée de la section des mineurs à Paris: "La police me dit qu'il n'y a pas d'augmentation de la violence. Mais depuis 2015, il y a chaque année 20% de déferrements en plus (procédure qui permet que le mineur soit presqu'immédiatement jugé et non convoqué à une date ultérieure devant le juge pour enfants, NDLR)", a-t-elle relevé.

"Mais pourquoi déferrez-vous plus ?" demande Mme Belloubet. "Je regarde combien de temps le jeune va attendre avant d'être présenté à un juge... plusieurs mois. On déferre beaucoup plus pour obtenir une réponse immédiate", répond la magistrate.

Pour cette raison Alice Grunenwald, juge pour enfants au Havre, est favorable à "une césure" entre le jugement sur la culpabilité et le prononcé de la peine: une procédure qui permettra de se prononcer tout de suite sur la culpabilité du mineur tout en laissant ouverte une réflexion sur la peine, en privilégiant des mesures éducatives plutôt que l'enfermement.

Autour de la table, magistrats, avocat, agent de la PJJ, préfet, député et directeur du département sont unanimes sur la nécessité d'une réforme, beaucoup sont favorables à une "césure" mais ils sont plus partagés sur l'instauration d'un âge de la responsabilité pénale.

En France, la majorité pénale est fixée à 18 ans et il n'existe pas de "minorité pénale", mais des seuils d'âge: un mineur de moins de 13 ans ne peut être placé en garde à vue; de 13 à 16 ans, il peut éventuellement être emprisonné et, en matière criminelle, faire l'objet d'une détention provisoire, une possibilité élargie aux délits passés 16 ans.

Les peines - prononcées à partir de 13 ans - consistent d'abord en des mesures éducatives et ne peuvent être supérieures à la moitié de la peine encourue pour les majeurs.

Le député Jean Terlier, co-auteur d'un rapport sur la réforme de l'ordonnance de 1945, est partisan de laisser les juges spécialisés "faire du cousu-main".

Tous affirment que l'ambition de la réforme dépendra des moyens que le gouvernement veut y consacrer. La ministre a été claire: elle doit s'inscrire dans le cadre du budget de la loi de programmation (qui passe de 6,7 à 8,3 milliards d'euros sur cinq ans), sans prévision d'enveloppe supplémentaire.

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