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Des milliers d'ouvriers morts au Qatar? Nous sommes allés sur place pour vérifier

Au Qatar, plus d’un million d’ouvriers travaillent dans le secteur de la construction. Ils viennent principalement du Bangladesh, du Népal, d’Inde. Leurs conditions de travail, pointées du doigt par plusieurs ONG, se sont-elles améliorées depuis l’attribution du Mondial au pays ?

La semaine dernière, nous vous présentions le Qatar dans cet article et les stades dans lesquels les Diables Rouges allaient jouer. Ce dimanche, place aux ouvriers, au centre des attentions médiatiques. Beaucoup d'informations et de chiffres différents circulent, nous avons mené l'enquête sur place.

Nous sommes à la tombée de la nuit et le travail va bientôt débuter pour quelques ouvriers que nous rencontrons. L’équipe s’estime chanceuse : elle ne devra pas travailler sous un soleil brûlant. Saoud Widia a 22 ans. Il est arrivé à Doha il y a 7 mois. "Je travaille sur la Corniche, en bord de mer". C'est n'est pas trop difficile ? "Non, le travail n’est pas dur, c’est facile. Nous travaillons la nuit, donc il ne fait pas chaud".

Anil Iado reconnaît, lui, que les conditions climatiques sont extrêmes. Mais cet ouvrier indien a besoin de ce travail. Anil envoie l'argent gagné à sa femme et ses trois enfants. "Ma famille et mes enfants sont en Inde, nous avions des problèmes. Oui, ce climat est chaud, mais ça ne me dérange pas. Je suis seul ici, mais ma famille est très contente".


 Anil (RTLINFO)

Salaire: 260€ / mois

Depuis 2020, le Qatar a mis en place un salaire minimum obligatoire. Il s’élève à 1000 rials par mois, c’est-à-dire environ 260€. C'est peu comparé au coût de la vie dans la capitale constituée de gratte-ciel. Mais c'est 3X plus que ce qu’un ouvrier peut espérer gagner en Inde. Bien sûr, sa famille lui manque. "Dans mon contrat, l’entreprise me demande de travailler deux ans... Ensuite je pourrai retourner en Inde".

Au Qatar, on compte 250.000 citoyens qatariens, mais 2.000.000 d'expatriés. Il y a donc bien plus d'étrangers que de locaux dans la péninsule, notamment 650.000 ressortissants indiens et 500.000 Népalais. Et ce sont ces milliers de travailleurs étrangers qui construisent les tours, les infrastructures. Ils travaillent donc en extérieur, avec des températures très élevées durant une bonne partie de l'année.

Comment travaillent-ils ?

Direction les chantiers, pour beaucoup, le retour au pays n’est pas prévu avant plusieurs années. Notre tableau de bord indique 47 degrés à la mi-journée. Tout le monde n’a pas la possibilité de travailler de nuit.

Sur cette même Corniche, le lendemain, nous croisons des travailleurs en plein soleil. Foulard ou cagoule recouvrant le visage au maximum, et de l’eau, bien sûr. Mais souvent aucun endroit à l’ombre pour récupérer. Ces ouvriers font leur pause sur un tas de briques.

Depuis l’attribution du Mondial au Qatar en décembre 2010, des ONG ou des médias internationaux dénoncent le travail forcé, des salaires impayés, de nombreux décès dus à la chaleur !

Que dit le comité organisateur ?

Nous décidons de confronter le Comité organisateur du Mondial à ces accusations...

C’est Fatma Al Nuaimi qui nous reçoit. "Ces accusations sont fausses. Toutes les entreprises qui travaillent pour le Mondial doivent respecter nos standards concernant les droits des ouvriers. Tout le monde est impliqué. En cas de violation des règles, ces compagnies reçoivent un avertissement, puis elles perdent le contrat si rien n’est arrangé".

Qu’en est-il du nombre de morts sur ces chantiers du Mondial ? "Malheureusement, nous comptons 3 morts. 1 décès, c’est déjà trop". Ce sont des conditions de travail très difficiles à l’extérieur. "Oui, mais nous avons des solutions innovantes, comme la veste rafraîchissante ou l’uniforme rafraîchissant. Ils permettent aux ouvriers de réguler la température de leur corps malgré la chaleur. Voici l’équipement décrit par notre interlocutrice. Avec ces poches et ces manchettes à placer dans l’eau".

Fatma al Nuaimi nous parle aussi de toutes les lois qui ont changé en faveur des ouvriers, notamment la fin des autorisations pour sortir du territoire ou pour changer de travail.

Que dit un responsable de Besix sur place ?

Nous rencontrons le directeur des ressources humaines de Besix au Moyen-Orient, pour vérifier si cela s'applique sur le terrain. L’entreprise belge s’est occupée de deux stades. "Sur les chantiers dont on s'occupe, là on a des installations en dur avec de l'air conditionné. De vrais endroits pour se reposer à l'abri de la chaleur", nous a confié Vincent Gondouin, directeur ressources humaines Besix au Moyen-Orient. Besix nous parle aussi de "trois accidents du travail mortel" rien que sur ses deux chantiers. "Notre industrie de la construction reste un métier physique, avec des dangers, surtout sur de tels chantiers".

Une nouveauté dans ce pays où les syndicats sont interdits : des représentants du personnel, désignés. Ray, 32 ans, est technicien en chef en charge de l’air conditionné. Il nous parle devant son patron. "Les seuls problèmes que mes collègues ont fait remonter sont liés à la nourriture...Parfois, ce n’est pas assez salé, ou le massala n’est pas bon. Mais c’est tout ! Moi je suis venu pour l’argent. Vous savez, sans argent, on ne peut rien faire".

Amnesty International: "Le nombre exact du nombre de morts à cause des conditions de travail est inconnu"

En quelques années, la situation des ouvriers semble s’être améliorée. Pour le vérifier, nous décidons d’appeler Amnesty International. Leurs membres font régulièrement des allers-retours entre Londres et Doha. L’ONG n’a pas de bureau au Qatar. May Romanos, porte-parole pour Amnesty International dans le Golfe, explique qu'elle craint une surveillance physique et sur les téléphones, de la part des autorités. "Pas pour nous, mais pour les ouvriers" que nous pourrions rencontrer.

Concernant le nombre de morts indiqués par certains médias, May Romanos affirme qu’il faut être prudent. "Tout le monde s'enflamme avec ces nombres-là, tous les médias. Le problème, c'est que le nombre exact du nombre de morts à cause des conditions de travail est inconnu. La raison ? Il n'y a pas d'investigation sur ce sujet. Donc on ne peut pas dire le nombre exact".

Amnesty International craint surtout que le sort des ouvriers ne soit plus au cœur de l’attention médiatique après le Mondial 2022.

Les ouvriers d’Asie du Sud vivent à l’écart de la capitale. Dans la zone industrielle ou dans des cités ouvrières construites spécifiquement. A la tombée de la nuit, ces ouvriers ont terminé leur travail et rentrent dans leur camp, loin du centre-ville de Doha.

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