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En Birmanie, la lutte continue pour les dissidents de la "Génération 88"

De ses années de dissidence en Birmanie, Ko Shell garde une dentition ravagée par les tortures en prison. Trente ans après la répression sanglante de la révolte populaire de 1988, il craint que la nouvelle génération n'oublie les luttes de ses aînés.

Le mouvement de contestation des frondeurs, regroupés sous l'étiquette "Génération 88", avait été violemment réprimé par la junte militaire. Le 8 août 1988, des milliers de Birmans étaient tombés sous les balles de l'armée, emprisonnés pendant de longues années ou contraints à l'exil.

Trente ans plus tard, certains ex-frondeurs, à l'image de Ko Ko Gyi,ambitionnent de devenir pour les législatives de 2020 une force politique alternative au parti de la Prix Nobel de la Paix, Aung San Suu Kyi.

C'est au moment de la révolte de 1988 que cette dernière est devenue le visage de la lutte contre les militaires.

Pourtant, peu a été fait depuis son arrivée au pouvoir en 2016 pour célébrer la "Génération 1988": aucun monument n'a été édifié à la mémoire des milliers de morts, peu de livres publiés pour expliquer leurs idéaux.

Ko Shell se dit désolé de l'ignorance dans laquelle les jeunes Birmans sont maintenus sur cette page décisive de leur passé.

"Je suis inquiet pour eux et nous avons notre part de responsabilité là dedans", explique à l'AFP l'homme de 49 ans, attablé dans un "tea shop" du centre de Rangoun.

Kyaw Soe Win, ancien prisonnier politique, a ouvert un petit musée cette année pour tenter de sortir la dissidence de l'oubli.

Installé dans un faubourg excentré de Rangoun faute de moyens, le musée présente notamment une reconstitution de la prison d'Insein, au nord-ouest de Rangoun, où de nombreux opposants furent détenus.

Il recrée les conditions de vie dans les geôles de la junte: les cellules étroites, les matelas au sol, la promiscuité. Sont aussi exposés des objets fabriqués par les détenus politiques, des instruments de musique notamment.

- "Montrer la vérité" -

"Le but est de montrer la vérité. Ces évènements se sont vraiment passés dans notre pays", explique-t-il.

"Des gens ont sacrifié leur vie. Ces photos sont la preuve de ce que l'on a vécu. Les livres de classe ne montrent pas l'histoire réelle", critique-t-il, tout en montrant des clichés des manifestations réprimées dans le sang.

Kyaw Soe Win, aujourd'hui âgé de 50 ans, a passé six ans en prison dans les années 1990 pour avoir distribué des tracts et communiqué avec des dissidents en exil. Aujourd'hui, il essaye via une ONG d'aider les anciens prisonniers politiques qui ne se sont pour certains jamais remis physiquement et mentalement de leurs années de privation.

L'absence de prise en charge de ceux qui ont combattu au côté d'Aung San Suu Kyi, qui elle était en résidence surveillée et non en prison, et plus généralement le peu de cas fait de leur lutte freine une prise de conscience collective.

"Le manque de discussion critique en Birmanie aujourd'hui sur notre passé récent est un gros problème", estime l'historien Thant Myint-U.

"L'histoire est enseignée aux enfants par le petit bout de la lorgnette, avec des listes de dates autour d'une narration nationaliste", critique-t-il.

Pourtant, de nombreux députés de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d'Aung San Suu Kyi, qui domine largement le parlement, sont passés par la case prison sous la junte.

Un tiers d'entre eux ont été à l'époque incarcérés, selon les calculs de Min Thu, un des députés de la majorité qui a lui-même passé dix ans en détention et n'a été libéré qu'en 2012, un an après l’auto-dissolution de la junte.

"Aujourd'hui, les gens n'ont pas peur de leur gouvernement. Ils peuvent exprimer leur opinion, ils peuvent critiquer", assure t-il, tout en admettant que l'armée reste si influente que le pouvoir civil ne peut pas l'affronter aussi frontalement que les étudiants de la "Génération 88" l'auraient rêvé.

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