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La justice transitionnelle désavouée en Tunisie, sept ans après la révolution

L'Instance Vérité et Dignité (IVD), instaurée pour faire la lumière sur les violations des droits de l'Homme et la corruption ces dernières décennies, a été désavouée au Parlement, un coup dur supplémentaire pour un organisme né de la transition démocratique en Tunisie.

Le parti Nidaa Tounès et ses alliés de la majorité ont voté tard lundi contre la prolongation du mandat de l'IVD, estimant que l'instance et sa présidente Sihem Ben Sedrine étaient "périmées".

Cette sentence fait suite à deux séances houleuses à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), au cours desquelles les élus en sont quasiment venus aux mains.

Au final, sur un total de 217 députés, 68 ont voté contre la prolongation et deux se sont abstenus, tandis que nombre de partisans de l'IVD ont déserté l'hémicycle pour tenter d'empêcher le vote.

Cette décision illustre la défiance chronique dont souffre l'IVD, malgré son rôle crucial dans la transition démocratique.

Créée dans le sillage de la chute de la dictature et des troubles post-révolutionnaires, dans le cadre du processus de justice transitionnelle, elle a pour mission de "dévoiler la vérité sur les violations des droits de l'Homme commises entre le 1er juillet 1955 et le 31 décembre 2013".

Cette période concerne à la fois le régime du père de l'indépendance Habib Bourguiba (1957-1987), celui de son successeur Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011), et certains gouvernements en place après le soulèvement de 2011.

Formée en mai 2014 après deux ans d'âpres batailles politiques, l'instance dispose en théorie de très larges compétences pour traiter des violations des droits de l'Homme -viols, tortures ou exécutions- mais aussi des faits de corruption ou de la marginalisation de régions entières.

Mais, depuis sa création, le pouvoir "a connu un retour important de l'élite de l'ancien régime, et il paraît difficile pour certains susceptibles de se retrouver sur la sellette d'accepter" son travail, avance le chercheur, Eric Gobe.

Ces dernières années, des institutions comme le ministère de l'Intérieur ou l'armée ont rechigné à collaborer avec ce processus qui doit permettre aux victimes d'être reconnues voire indemnisées tout en évitant des purges.

Retransmises sur la principale chaîne publique, les premières auditions publiques ont constitué un temps fort des travaux de l'IVD, et un choc avec les récits déchirants de victimes.

Cette libération de la parole a été jugée indispensable par certains pour pardonner et tourner la page.

- Loi d'aministie -

Mais d'autres ont estimé ces témoignages contre-productifs et porteurs d'un esprit de revanche.

Dans cette dernière catégorie, nombreux sont ceux qui ont applaudi, l'an dernier, au vote d'une loi amnistiant les fonctionnaires impliqués dans la corruption sous la dictature, malgré le tollé suscité dans la société civile.

Face aux sceptiques, l'IVD a par ailleurs été secouée par des différends internes, et elle est restée élusive sur son fonctionnement.

Malgré l'impact de ses auditions publiques, l'instance est aussi critiquée pour n'avoir transmis ses premiers dossiers à un tribunal spécialisé que début mars. Et elle doit encore décider des suites à donner aux autres.

Les détracteurs de l'IVD assurent ne pas vouloir s'attaquer à la justice transitionnelle, concentrant leurs griefs sur sa présidente, une personnalité clivante violemment prise à parti lundi soir.

Dénonçant la décision du Parlement, les soutiens de l'IVD reprochent quant à eux au président de l'Assemblée, Mohammed Ennaceur, d'avoir mené le vote au pas de charge, en dépit d'un quorum insuffisant et de polémiques sur la nécessité d'un vote, l'accusant de "conflit d'intérêt".

Plusieurs élus ont fait allusion à des affaires traitées par l'instance dans lesquelles M. Ennaceur, ministre sous Bourguiba et diplomate sous Ben Ali, pourrait être mis en cause. Ce dernier a démenti, et assuré de son "intégrité".

Dans ce contexte tendu, l'IVD, dont le mandat se termine le 31 mai, a décidé d'elle-même de le prolonger jusqu'au 31 décembre, en arguant du manque de coopération de l'Etat.

A présent, pour le constitutionnaliste Sadok Belaïd, elle va devoir soit se soumettre et cesser ses travaux, soit entrer en "rébellion".

Il prédit une nouvelle "polémique", en ajoutant: "et c'est un euphémisme".

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