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Témoignage sur les attentats : des médias font état de pressions du gouvernement

Accusés d'avoir mis en danger la femme qui a dénoncé Abaaoud en diffusant son témoignage, BFMTV et RMC ont fait état de pressions du gouvernement et assuré avoir pris toutes les précautions pour protéger ce témoin.

Le 19 janvier, avec un nom d'emprunt, cette femme a contacté le standard de RMC. "Sonia" - le pseudonyme sous lequel elle est présentée - avait dénoncé à la police Abdelhamid Abaaoud, un des organisateurs présumés des attentats du 13 novembre, permettant l'opération du Raid à Saint-Denis pendant laquelle le jihadiste avait été tué.

L'existence de ce témoignage crucial était connue depuis les jours qui ont suivi immédiatement les attentats.

Claire Andrieux, une des journalistes de RMC qui avait couvert l'enquête après les attentats de novembre, la recontacte plusieurs fois suite à son appel et vérifie son identité.

Le jeudi 28 janvier, BFMTV et RMC réalisent une interview de deux heures de "Sonia", qui dit se sentir "abandonnée" par l'Etat. Le ministère de l'Intérieur est alerté, a assuré à l'AFP le directeur de la rédaction de la chaîne d'info, Hervé Béroud.

Selon lui, la chaîne a décidé de ne pas diffuser l'interview tout de suite "pour avoir le temps de bien lui expliquer les conséquences qu'aurait la diffusion, lui laisser le temps aussi de renoncer à la diffusion". "Elle a insisté pour que son témoignage soit diffusé", affirme Hervé Béroud.

Pendant cette semaine, "il y a eu beaucoup de pressions auprès de nous et de cette femme", les autorités avertissant BFMTV, selon Hervé Béroud, "qu'il ne fallait absolument pas diffuser ce témoignage".

Des pressions similaires ont été exercées sur RMC et sur d'autres rédactions, selon le directeur de la rédaction de la radio, Philippe Antoine.

"Sonia" a témoigné jeudi matin sur RMC, la voix masquée, et sur BFMTV avec la silhouette d'une autre femme, a précisé Hervé Béroud -- et non pas filmée à contre-jour comme pouvait le suggérer l'image.

Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour "violation du secret de l'instruction" et "mise en danger de la vie d'autrui", qui vise également un article du Point.fr.

Interrogé par Europe 1 jeudi, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve avait condamné la diffusion de ces images. "Nous faisons ce qu'il faut dans un contexte extrêmement compliqué. (...) La meilleure manière d'agir est de se taire", avait-il commenté, regrettant le traitement médiatique de l'affaire.

"Tous ceux qui diffusent des interviews, font du bruit sur ce sujet-là, plutôt que de traiter discrètement cette question, comme nous nous employons à le faire, lui font prendre un risque".

- 'C'est une héroïne' -

"Je regrette que le ministère de l'Intérieur, au sens large, se focalise sur la diffusion du témoignage, pour botter en touche sur les problèmes de fond que pose cette femme. C'est une héroïne qui a évité des attentats à La Défense, et qui n'est pas suivie, pas considérée par les autorités comme elle aurait voulu l'être" argumente Hervé Béroud.

Me Patrick Baudouin, président de la FIDH, a été contacté par BFMTV pour conseiller "Sonia", en "forte fragilité psychologique", selon lui. RMC a affirmé qu'elle a dû fuir son quotidien pour éviter des représailles et vit sous protection policière. Mais l'interview ne lui fait pas courir plus de risques, estime-t-il auprès de l'AFP.

"Sonia est déjà en danger car son témoignage ne s'est pas fait sous X", explique Me Baudouin, un fait confirmé par des sources proches de l'enquête. En conséquence, l'identité et les coordonnées de cette femme figurent dans le dossier d'instruction.

La procédure interdit à ce stade de revenir en arrière en expurgeant ce témoignage du dossier. "On ne peut pas déchirer les PV", résume une source proche de l'enquête.

"Le fait d'intervenir publiquement est aussi une façon d'obtenir une protection supplémentaire", ajoute Patrick Baudouin.

"Sonia", qui dit dans l'interview n'avoir "rien" obtenu de l’État, a reçu depuis l'enregistrement une somme d'argent et, vendredi, elle s'est rendue chez un psychologue du ministère comme elle l'avait demandé, selon M. Béroud.

"Le vrai problème en France, c'est qu'on n'a pas de protection des témoins", assure Me Baudouin. "Si elle avait vraiment été protégée, comme le sont les repentis, son anonymat aurait été assuré".

L'hebdomadaire Valeurs Actuelles avait publié des extraits du PV d'audition de ce témoin dans son numéro du 26 novembre, ce qui avait entraîné l'ouverture d'une enquête par le parquet. Le journal devrait être jugé bientôt pour avoir publié des extraits de ce procès-verbal.

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