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Sandrine et Laurie prennent en charge des enfants en piteux état, s'en occupent pendant des mois, puis doivent s'en séparer: comment fonctionnent les familles d'accueil en Belgique?

C'est l'histoire d'une famille d'accueil de La Louvière qui vit une véritable déchirure: les deux enfants qui étaient hébergés chez celle-ci ont été placés en pouponnière. Il pourrait s'agir d'une mesure de protection pour l'enfant, alors que les parents biologiques s'opposent farouchement - voire violemment - au placement chez ces accueillants. Au-delà de ce cas difficile, nous avons voulu faire le point sur le système des familles d'accueil en Belgique.

Sandrine et sa compagne Laurie se sont occupées, en tant que famille d’accueil, d’abord de Johanna (prénom d’emprunt), arrivée chez elles à l’âge de 14 mois, puis également de Lucas (prénom d’emprunt), son petit frère, qui leur a été confié un peu plus tard, à l’âge d’un mois et demi. Elles avaient récupéré les enfants, aujourd'hui âgés respectivement de deux ans et demi et un an et demi, dans un état déplorable : la petite fille présentait des signes de malnutrition, tandis que le petit garçon souffrait de retards de développement dus au fait qu’il n’était pas du tout stimulé, couché du matin au soir, durant les premiers instants de sa vie.

Durant 20 mois, Sandrine et Laurie se sont occupées des enfants, et ont tout fait pour combler les négligences subies au début de leurs vies. Mais début octobre, les enfants ont été enlevés de la famille d’accueil, pour être placés en "pouponnière", un centre d’accueil pour enfants âgés de 0 à 6 ans. Sandrine et sa compagne, qui avaient compris qu’elles s’occuperaient des enfants jusqu'à la majorité, sont désemparées.


"Quand je l’ai prise, je n’ai ressenti aucune résistance, elle était vraiment inerte"

"Tout a commencé le 5 mai 2016", nous dit Sandrine. Elle s’est rendue chez un couple d’amis, qui avaient alors 5 enfants à leur charge. "Les deux petits derniers étaient mes filleuls". Elle est alors alertée par leur état de santé. "Je me suis arrangée avec eux pour prendre la petite un week-end. Quand j’ai repris l’enfant, elle me paraissait toute mince, toute légère, elle était inerte, couchée sur le ventre, dans son parc. Elle était couverte par un petit manteau rose avec des trous. Elle ne bougeait vraiment pas, et quand je l’ai prise, je n’ai ressenti aucune résistance, elle était vraiment inerte".

Sandrine repart avec la fillette, et arrivée chez elle, constate son mauvais état de santé: "Quand je l’ai déshabillée, je l’ai retrouvée dans un état cadavérique, on voyait tous ses os, elle n’avait aucune résistance, elle n’était pas capable de lever son bras, elle n’avait pas de muscles". D'après Sandrine, la mère biologique expliquait cet état par une gastro-entérite. Dans le rapport du médecin qui l’a auscultée, il est question d'"atrophie musculaire sévère", découlant d’une "malnutrition". "On m’a dit de faire appel à la police, parce que c’était quand même quelque chose de très grave". Ce sera l’élément déclencheur. Tous les enfants seront alors placés, conséquence d’un jugement du tribunal de la jeunesse de Mons émis en octobre 2016, faisant application de l'article 38 du décret de 1991 relatif à l'aide à la jeunesse - appliqué dans le cas d'une aide contrainte (voir explications plus bas), parce que les parents biologiques refusent l'aide volontaire, et lorsque la sécurité ou la santé de l'enfant est gravement compromise. 


"Le petit est venu se joindre à nous et a agrandi la famille"

Sandrine prend sa filleule en charge, d’abord avec l’accord des parents, avant que la relation ne s'envenime. "On m’a ensuite confié le petit garçon, quand il avait un mois et demi. Le petit garçon faisait des allers-retours à l’hôpital, il était incapable de manger et de boire, parce qu’il remettait tout. Le service d’aide à la jeunesse a décidé de le placer chez une dame, et ce n’était pas possible, donc il m’a demandé si j’avais la possibilité de reprendre le petit garçon, parce que j’avais quand même fait des miracles avec la petite fille. J’ai dit oui, sans hésiter. Le petit est venu se joindre à nous et a agrandi la famille".


"Il passait ses jours et ses nuits dans un maxi cosi"

Plusieurs documents témoignent de la bonne évolution des enfants : suivi médical régulier, bonne prise de poids pour les deux enfants, bon développement au niveau psychomoteur… "Le petit avait sa tête toute aplatie. Encore aujourd'hui, il va avoir deux ans, mais il a sa tête désaxée, on voit son oreille droite beaucoup plus avancée que la gauche, à cause justement de la négligence qu’il y a eu : il passait ses jours et ses nuits dans un maxi cosi. C’est ce qui a causé la déformation de sa tête. Il n’était même pas capable de tourner sa tête, on a vu un ostéopathe, puis il a tourné sa tête assez rapidement, car il était beaucoup stimulé. Tout est rentré dans l’ordre".


Les enfants placés en pouponnière à la surprise de la famille

Sandrine et Laurie, ainsi que leurs familles, se sont énormément attachées aux enfants. Elles pensaient donc qu'ils resteraient chez elles. Mais sur le papier, il s’agissait d’une mesure d’hébergement "temporaire". D'après Sandrine, en novembre, le SPJ (Service de Protection Judiciaire) a invité la famille d’accueil à déposer les enfants à l’hôpital pour un bilan neuro-pédiatrique. "On n’y est allés le lundi, ils sont entrés à l’hôpital, et on nous disait que c’était juste pour un bilan, donc qu’après le bilan, ils sortiraient de l’hôpital et rentreraient à la maison". Mais suite à cela, le petit garçon et la petite fille ont été placés dans un service d’accueil spécialisé.

Sandrine évoque plusieurs raisons qui lui ont été avancées: "A chaque fois, on me donne une explication différente. La première fois, c’était parce qu’il y avait trop de lien affectif avec les enfants, on aimait trop les enfants, donc il fallait couper le lien. La deuxième fois, ça a été parce que Johanna avait un retard du développement, mais bien sûr, sa vie a commencé à treize mois, donc on allait tôt ou tard s’apercevoir qu’il y avait un retard… Par la suite, on m’a dit que c’était à cause d’un suivi qui n’avait pas été fait".


Plusieurs plaintes déposées pour violences

La relation avec les parents biologiques, qui ont fini par s'opposer farouchement au placement dans cette famille d'accueil qu'ils avaient eux-même choisie, n'est peut-être pas étrangère à ce changement de situation. Sandrine a porté plainte à plusieurs reprises: "Ils sont venus jeter des cailloux à ma porte, puis deux trois jours avant de passer au tribunal ils sont venus faire des éclats dans la vitre qui donne sur ma rue", nous raconte-t-elle, expliquant même qu'un jour, devant l'école, "le papa des enfants a accéléré et foncé droit sur moi et ma compagne avec sa voiture". Laurie a été blessée. "On a été entendues à plusieurs reprises".


"Le décret nous impose de revoir la situation chaque année"

Nous n'obtiendrons pas de commentaire du SPJ (Service de Protection Judiciaire) sur ce cas précis, secret professionnel oblige. Cependant, nous avons voulu mieux comprendre comment fonctionne le placement d'un enfant en famille d'accueil. Pour nous éclairer, Muguette Poncelet, directrice de l'Aide à la Jeunesse au SPJ de Neufchâteau, qui n'a donc pas de lien avec l'affaire que nous décrivons dans cet article, ne la commentera pas, mais nous fournira quelques éclairages d'ordre général.


Comment fonctionne le placement en famille d'accueil? 

Concrètement, il existe deux schémas d'aide aux parents biologiques d'un enfant: volontaire, ou contrainte. Dans le premier cas, c'est le SAJ (Service d'Aide à la Jeunesse) qui entre en jeu: "L’aide apportée au SAJ, est une aide négociée, où les parents viennent volontairement, où l’enfant vient volontairement solliciter de l’aide, et il est accompagné dans la mise en place d’une aide concrète", détaille Muguette Poncelet.

C'est le SPJ (Service de Protection Judiciaire) qui prendra la main lorsque le dossier sera envoyé au parquet. L'aide devient alors contrainte: "Le conseiller dit 'Les gens ne veulent plus de mon aide' et présente les éléments qui lui semblent inquiétants par rapport à l’enfant. On définit un état de danger. Il appartient alors au parquet d’évaluer s’il y a bien un état de danger et s’il n’y a plus de collaboration possible des parents". C'est dans ce cas de figure que se trouve la famille des enfants dont s'occupaient Sandrine et Laurie.

Trois types de mesures peuvent alors être prises par le tribunal: "Soit une mesure d’accompagnement d’ordre éducatif, et des directives à l’égard des familiers de l’enfant, précisées et ciblées, deuxièmement, s’il y a lieu de recourir à une mesure de placement, le tribunal pourra prononcer une mesure d’hébergement familial, et la troisième possibilité pour le tribunal, c’est de permettre à l’enfant, s’il a plus de 16 ans, de s’inscrire dans une résidence autonome de son choix". 
 

Où l'enfant peut-il être placé?

Lorsqu'une mesure de placement est prise, l'enfant peut être placé dans une institution.

Il y a les Services d'accueil spécialisé de la petite enfance (S.A.S.P.E.), pour les enfants de 0 à 6 ans, communément appelés "pouponnières", puis les Services d'Accueil et d'Aide Educative (S.A.A.E.), mais le conseiller ou le directeur de l'Aide à la jeunesse examinera prioritairement les possibilités au sein du milieu familial élargi. "Ça peut être les grands-parents, oncles et tantes, ou tout autre familier connu de l’enfant. Il peut être proposé par le parent, parce que ça arrive, qu’ils nous disent, je voudrais qu’on confie mon enfant à telle personne, parce que c’est la marraine par exemple, et c’est une personne qui connaît l’enfant depuis qu’il est petit, qui le prend en week-end, en vacances, qui a une place importante dans sa vie. Il se peut aussi qu’un familier se propose à nous"

Il y a également les familles d'accueil étrangères à la famille biologique, qui sont recrutées par un service de placement familial, qui les proposent au services d'aide à la jeunesse. "Quand on s’adresse à eux, ils nous disent, nous avons une famille d’accueil à tel endroit et qui pourrait adéquatement prendre en charge le type d’enfant que vous proposez." 


Rien n'est jamais définitif

La directrice de l'Aide à la Jeunesse nous explique qu'en principe, tout est toujours clair dès le départ lorsque des personnes prennent un enfant en charge: la règle, c'est qu'aucune aide n'est définitive à partir du moment où on s'engage comme famille d'accueil. "Selon qu’on est dans un placement à court terme ou à plus long terme, de toute façon, le décret nous impose de revoir la situation chaque année. Que l’on soit dans l’aide volontaire ou dans l’aide contrainte, il y a lieu de requestionner, toujours, au bout d’un an, le projet pour l’enfant. Les services de placement familiaux l’expliquent bien aux familles d’accueil. Même si ça génère parfois de l’angoisse", nous explique Muguette Poncelet, qui rappelle que ces services ont un cadre légal à respecter: "On ne fait pas ce qu'on veut, on a un cadre légal à respecter, que l'on soit au SAJ ou au SPJ, on s'en réfère à notre décret".


Une place pour les parents biologiques

De façon générale, quelles sont les raisons qui peuvent motiver un placement en pouponnière plutôt que dans une famille? 

"Si on n’a pas de possibilité de prise en charge par le milieu familial élargi, ou qu’on est dans un conflit intrafamilial dans lequel on sait que l’enfant va être l’enjeu", répond Muguette Poncelet, qui rappelle que, sauf évidemment dans le cas de maltraitances et de danger pour l'enfant, les services d'aide à la jeunesse vont toujours travailler autour de l'adhésion du parent biologique: "Les placements en famille d’accueil réussis sont ceux où on a vraiment l’adhésion du parent biologique, parce qu’il a été soutenu dans sa place de parent, même si ce n’est qu’une place partielle, mais il a été mis en valeur, et où il n’a pas été écarté purement et simplement. Parfois on a des enfants qui grandissent tout à fait bien, en famille d’accueil, avec des parents, parallèlement, qui donnent ce qu’ils peuvent donner".

Les enfants ont pu passer Noël avec Sandrine et Laurie

Sandrine et sa compagne ont le droit de passer une journée par semaine avec les enfants à la maison, avec l’obligation de les ramener en fin d’après-midi à la pouponnière. Elles ont également droit à deux heures de visite un autre jour de la semaine. Pour les fêtes, les jours ont été inversés afin que les enfants passent Noël au sein de la famille d’accueil. Avec le personnel de la pouponnière, les relations sont très bonnes, nous dit la maman d'accueil.


Elles veulent faire bouger les choses

Sandrine et Laurie ont introduit un recours contre la décision du service de protection de la Jeunesse de Mons, afin de pouvoir ramener Johanna et Lucas chez elles. "A chaque visite à la pouponnière et sur les photos nous pouvons constater que les enfants ne sont pas épanouis les étoiles que nous avions l'habitude de voir briller dans leurs yeux s'éteignent, ils souffrent", commente Sandrine, sur la page d’une pétition adressée au SPJ de Mons, signée par près de 1500 personnes. 

Ce samedi 6 janvier, Sandrine et Laurie organisaient une "marche du cœur" (voir le reportage de nos confrères d'Antenne Centre à ce sujet) à La Louvière, afin de faire bouger les choses. Aujourd'hui, les enfants vivent toujours en pouponnière.

6500 enfants hébergés ailleurs que chez eux

En 2017, environ 6.500 enfants étaient hébergés ailleurs que chez leurs parents dans le cadre d’une prise en charge par le secteur de l’Aide à la jeunesse (en raison de difficultés que connaissent le jeune et/ou ses parents sur le plan social, psychologique et matériel). Parmi eux, environ 3.500 enfants vivent en famille d’accueil: trois quarts dans leur famille élargie et un quart dans une famille d’accueil dite "externe", selon le cabinet du ministre en charge de l'Aide à la Jeunesse Rachid Madrane.

Toujours selon les chiffres du cabinet, en 2016, 150 familles candidates ont entamé la procédure de sélection auprès des services de placement familial et 79 d’entre-elles ont déjà pu accueillir un enfant alors que 71 poursuivaient le processus de sélection. Ces chiffres sont en hausse ces dernières années et l’augmentation se confirme en 2017 : les services ont ouvert 250 études de candidatures et 105 nouvelles familles ont été sélectionnées. 70 candidatures étaient quant à elles toujours à l’étude.

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