Accueil Actu

Des jeunes filles belges abusées sur Facebook envoient des photos de nus à un usurpateur: elles pourraient devenir des appâts

Une dizaine de filles, parmi lesquelles une ou plusieurs mineures, ont été piégées par un usurpateur, peut-être un "brouteur" localisé en Côte d'Ivoire. Celui-ci a piraté et pris le contrôle du profil Facebook de la fille d'un photographe réputé. Se faisant passer pour celle-ci, il a convaincu ces jeunes filles d'envoyer des photos en sous-vêtements et parfois de nus à une responsable de casting imaginaire sur Facebook. Ces photos pourraient servir à piéger... des hommes. Enquête.

Afin de préserver l'anonymat souhaité par les victimes dans l'histoire que nous allons vous raconter, tous les prénoms ont été changés. La ville de Belgique où elles habitent ne sera pas mentionnée non plus.

Ca t'intéresse un casting pour G-Star ?

C'est l'été, les vacances. Sylvie, une étudiante de 19 ans, en profite. Mieux que sa copine Isabelle qui a une seconde session et l'appelle un jour. Elle bosse pour ses examens de passage et doit renoncer à une séance photo en vue d'un casting pour la célèbre marque de vêtements G-Star. Elle a eu le tuyau par une connaissance sur Facebook, Pauline, la fille d'un photographe connu dans la région. Mais elle ne pourra pas y aller, alors elle a pensé à Sylvie, sa meilleure amie, pour la remplacer.  "Intéressée?", lui demande-t-elle. Sylvie est emballée. D'autant que le shooting est payé 400 euros la journée...

Pauline sur Facebook n'est plus Pauline

Prévenue du changement par Isabelle, Pauline prend contact avec Sylvie sur Facebook. Elles deviennent "amies" sur le réseau social. Les deux filles y discutent du shooting. "Elle m'a expliqué le casting, elle m'a dit que son papa était un photographe très connu", nous raconte Sylvie que nous avons jointe par téléphone. Comme c'est devenu l'habitude de nos jours, Sylvie googlise le photographe, c'est-à-dire qu'elle met son nom dans Google et vérifie à qui elle a affaire.

Les résultats de la recherche confirment que le père de Pauline est bien un photographe, apparemment avec une bonne réputation. Sylvie peut donc avoir confiance.

Mais ce qu'elle ne sait pas, c'est que Pauline sur Facebook n'est pas Pauline la fille du photographe. Une personne malintentionnée a piraté et pris le contrôle du profil Facebook de Pauline et peut désormais se faire passer pour elle.

La prise de contrôle d'un profil Facebook n'est pas extrêmement compliquée si le propriétaire l'a mal sécurisé, et c'est souvent le cas. Nous abordons en fin d'article cette sécurisation avec un membre de l'unité de la police spécialisée dans la criminalité informatique. Revenons à notre histoire.

Fausse Stéphanie, fausse responsable du faux casting

Pauline qui n'est pas Pauline prévient sa future proie que le casting sera dirigé par deux professionnels. "Elles vont te contacter par téléphone", lui écrit-elle sur Facebook. Elle lui demande dès lors son numéro de téléphone, son adresse et... sa taille. Jusqu'à présent, insistons sur ce fait: tout s'est passé par Facebook. Mais une semaine plus tard, cette fois, c'est le téléphone de Sylvie qui sonne. La responsable du casting, la professionnelle, une soi-disant "Stéphanie" appelle. Elle a besoin de photos de Sylvie en sous-vêtements. La raison avancée: G-Star dispose d'un logiciel qui met virtuellement les vêtements sur la photo de Sylvie afin de voir quels vêtements lui conviendra le mieux pour le casting... La jeune fille est intriguée mais cette Stéphanie "a l'air super gentille"...

Elle finit par convaincre sa mère de la prendre en photos en sous-vêtements

Enthousiaste, Sylvie demande à sa mère de prendre des photos d'elle en sous-vêtements. La mère est méfiante. "Elle ne voulait pas au début, elle m'a fait la morale pendant deux heures", relate l'étudiante qui finit néanmoins par la convaincre, de la même façon qu'elle a elle-même été convaincue: c'est une connaissance de sa meilleure amie Isabelle qui a donné le filon et elle est fille d'un photographe réputé. La mère prend les clichés. Sa fille se rend alors sur le page Facebook du casting (Stéphanie Casting, page fermée par Facebook après plainte des victimes mais qui a été recréée le lendemain!). Elle devient "amie" avec cette page par laquelle elle envoie ses photos à "Stéphanie".

Au troisième contact, Stéphanie casting demande des photos de nus

Le temps passe et Sylvie ne reçoit aucune nouvelle. Elle demande des nouvelles à "Stéphanie" sur la page Facebook du casting. Celle-ci lui répond. Elle a besoin de nouvelles photos car, prétexte-t-elle, elle a supprimé par inadvertance leur conversation Facebook qui contenait les photos. Sylvie reprend contact avec Pauline, sur Facebook: "Toi aussi, elle t'a redemandé d'envoyer des photos?", questionne-t-elle. Pauline (qui ne faits sans doute qu'un avec "Stephanie"), bien entendu, répond par l'affirmative et la pousse même à envoyer davantage de photos, avec le plus de sous-vêtements différents. Et pour mieux faire baisser la garde de Sylvie, l'usurpateur qui se cache derrière Pauline la flatte et la fait rêver, lui confiant que la responsable du casting lui a beaucoup parlé d'elle, qu'elle trouve son profil très intéressant. Et ça marche, Sylvie envoie d'autres photos avant de partir une semaine en vacances en Espagne.

Lorsqu'elle rentre, la fin du mois d'août approche et, à nouveau, elle n'a reçu aucune nouvelle de "Stéphanie". Elle la recontacte donc sur Facebook. Cette fois encore, "Stéphanie" lui demande de nouvelles photos. Elle ressort la même excuse: photos précédentes supprimées par mégarde. Cette fois, cependant, "Stéphanie" a besoin de photos de nus. Pourquoi ? Parce que le logiciel ne fonctionne pas quand il y a des sous-vêtements, il ne parvient pas à pointer correctement la forme du corps, invente "Stéphanie".

Elle découvre que Pauline sur Facebook n'est pas Pauline

Pour les nus, Sylvie se rend chez un photographe. Un professionnel à qui elle explique la raison de sa demande. Ce dernier suspecte l'arnaque et invite la jeune fille à tout arrêter immédiatement. Ensuite, il contacte notre rédaction via la page Alertez-nous.

De son côté, Sylvie commence son enquête. Elle n'est pas seule à participer à ce pseudo casting. Une dizaine de filles sont "amies" de la page Facebook du casting et ont donc plus que probablement envoyé elles aussi des photos d'elles en sous-vêtements et peut-être aussi nues à l'escroc. Sylvie entre en contact avec l'une d'entre elle: Katia qui effectivement s'est fait abusée comme elle!

Sylvie va plus loin et arrive à joindre la soeur de Pauline. Celle-ci lui apprend que le profil Facebook de sa soeur a bien été piraté. De même que le sien. Les deux soeurs se sont d'ailleurs créés de nouveaux profils. Sylvie appelle le papa. Nous l'avons aussi appelé il y a quelques jours. Il déplore qu'on ait profité de sa notoriété de photographe et usurpé l'identité de ses filles pour arnaquer des jeunes femmes. Aujourd'hui, les profils piratés de ses filles ont été fermés et l'usurpateur ne pourra plus s'en servir. Un usurpateur qui prenait la précaution d'effacer à chaque fois les conversations qu'il avait sur Facebook via le compte qu'il avait piraté, afin que, si la propriétaire du profil, en l'occurence ici Pauline, revenait sur sa page Facebook, elle ne constate rien d'anormal.

Une arnaque orchestrée à partir de la Côte d'Ivoire ?

Lorsque nous avons appelé ce père photographe, il venait de recevoir l'appel d'une avocate. Nous avons parlé avec celle-ci. La mère d'une jeune fille, mineure, abusée comme Sylvie par le faux casting G-star, s'est confiée à elle. "Je l'ai invitée à porter plainte", nous déclare l'avocate spécialisée dans le droit de la jeunesse. Celle-ci s'informe actuellement afin de savoir si l'affaire peut être portée devant la justice. Sa cliente dispose en effet d'éléments qui pourraient y aider: la jeune fille a enregistré les conversations qu'elle a eues avec "Stéphanie" et, mieux encore, elle dispose d'une adresse IP de l'ordinateur à partir duquel "Stéphanie" a agi au moins une fois. L'adresse IP permet de localiser l'ordinateur.

Nous ne voudrions pas décourager l'avocate mais elle rencontrera sans doute beaucoup de difficultés à faire ouvrir un procès. Il est en effet plus que probable que cette adresse IP mènera à un des milliers de cybercafé en... Côte d'Ivoire. C'est ici que commence la réponse à cette question que vous vous posez tous: dans quel but l'usurpateur a-t-il soutiré les photos aux jeunes filles de Belgique ? Une réponse possible, c'est Olivier Bogaert de la Computer Crime Unit, l'unité de la police fédérale spécialisée dans la criminalié sur internet, qui nous l'apporte.

Les jeunes filles sans soute victimes de "brouteurs"

Lorsque nous lui soumettons l'affaire, il ne parait pas étonné. Derrière cette usurpation, il y a probablement des "brouteurs". C'est le terme employé pour désigner les milliers d'escrocs ivoiriens qui tentent d'arnaquer des gens sur internet pour leur soutirer de l'argent. Souvent des Occidentaux francophones. Mais dans notre cas précis, l'objectif n'est cependant pas l'argent des jeunes filles belges. Celles-ci constituent seulement une étape intermédiaire.

Leurs photos intimes, en sous-vêtements ou nues, vont servir d'appât. La cible: des Ivoiriens célibataires. À l'aide de ces photos, les "brouteurs" vont séduire ces hommes sur des sites de rencontre en se faisant passer pour des jeunes filles européennes. Jour après jour, montrant petit à petit les photos à l'homme appâté (voilà pourquoi les "brouteurs" demandent un maximum de photos différentes aux jeunes filles piégées en Belgique), le "brouteur" crée les bases d'une relation amoureuse virtuelle. Il pousse l'homme à se dévoiler de plus en plus, jusqu'à finir, au bout du processus, par exhiber son sexe voire se masturber devant sa webcam.

Ils menacent de publier la vidéo intime et humiliante de l'homme piégé sur le Facebook de ses amis

Un acte sexuel que l'homme, excité et perdant sa prudence, croit montrer à une jeune fille qui le lui demande mais qui, malheureusement pour lui, est enregistré par le "brouteur". Avec cette vidéo, le "brouteur" dispose de l'objet de chantage qui va pouvoir lui rapporter de l'argent. Il publie cette vidéo sur Youtube et prend contact ensuite avec sa victime. Il la menace de déposer cette vidéo sur les profils Facebook de ses amis et connaissances s'il ne paie pas une rançon.

Et voilà comment les photos de jeunes filles belges manquant de prudence sur Facebook vont servir à exciter puis piéger un homme sur internet.

Des Robins des bois

Les "brouteurs" inventent régulièrement de nouvelles techniques, parfois très sophistiquées comme dans le cas présent, pour arnaquer les Européens, essentiellement francophones. Le phénomène est tel que la police de Côte d'Ivoire dispose d'une cellule spécialisée qui informe sur son site web des dernières techniques imaginées par les cybercriminels. Quelques-uns d'entre eux avaient été suivis par une équipe d'Envoyé spécial, l'émission de France 2, il y a deux ans. Dans le reportage (voir la vidéo) On peut constater que les "brouteurs" n'ont guère de scrupules, balayés par l'argent facile que leur rapporte leur activité, soit beaucoup plus que le salaire moyen dans le pays. Ceci leur permet d'acheter des vêtements, faire la fête et jusqu'à se permettre un logement individuel, un luxe dans ce pays. D'autre part, ils sont nombreux à estimer qu'ils ne font que reprendre ce que le riche Occident leur a volé. Ils reprennent et donnent aux pauvres. "Le brouteur est quelqu'un de très généreux. Il partage beaucoup de ce qu'il gagne et il est perçu comme un Robin des bois dans son quartier. Pour le public, les victimes sont des Occidentaux. Et les Occidentaux ont tellement exploité l'Afrique que c'est l'occasion de récupérer un peu de ce qui a été pris", explique un des responsables de l'unité de la police ivoirienne qui les traque.

Des profils Facebook insuffisamment sécurisés

Comme on peut se l'imaginer, juger des escrocs ivoiriens qui auraient arnaqué des Belges ou Français à des milliers de kilomètres n'est pas chose aisée. La meilleure arme contre ces arnaques reste donc la prudence et l'éducation de la population à la sécurité de sa vie privée sur internet. Olivier Bogaert de la Computer Crime Unit conseille de ne pas rendre public son profil Facebook, donc de permettre seulement à vos amis de voir le contenu de votre page Facebook. Cela implique donc aussi, ensuite, de ne pas accepter n'importe quel demande d'amis.

Autre conseil: choisissez un mot de passe difficile à déduire. Et surtout, évitez de mettre sur votre mur Facebook trop de commentaires qui permettraient de retrouver facilement votre mot de passe. Par exemple, si vous évoquez tout le temps votre chien "Pupuce" dans vos publications, l'escroc qui parcourt votre mur Facebook en quête d'indices tentera de se connecter à votre profil en essayant "Pupuce" comme mot de passe. 

À la une

Sélectionné pour vous