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La fin des cartes SIM anonymes, prisées des malfrats et des terroristes, est imminente… mais elle pourrait être inutile

Il faudra attendre l'automne pour que les opérateurs soient contraints de lier chaque carte SIM du pays à une identité. Cela fait pourtant près de 20 ans que les services de police dénoncent la dangerosité des cartes prépayées, qui peuvent être complètement anonymes en Belgique.

Depuis longtemps, on sait que les cartes prépayées font le bonheur des personnes malintentionnées, qui peuvent garder l'anonymat tout en commettant leur méfait, quel qu'il soit.

Il suffit en effet de se rendre dans n'importe quel commerce, et de payer en liquide une carte SIM avec un numéro de téléphone attribué, et une recharge d'un certain nombre de minutes/SMS/internet mobile.

On insère ensuite la carte dans un téléphone ou un smartphone, et on peut communiquer sans laisser la moindre trace. Mais cela est sur le point de changer, du moins en Belgique (ce qui va bientôt poser problème, nous le verrons).


"Un petit pourcentage reste anonyme"

Le premier opérateur du pays, Proximus, nous a confirmé que l'anonymat complet était une réalité, mais pas la règle. "Les opérateurs cherchant toujours à mieux connaître les utilisateurs, ils favorisent ceux qui se font connaître", nous a expliqué Haroun Fenaux, porte-parole.

L'intérêt de s'identifier sur le site de Proximus est de cumuler des points, de participer à des concours, d'avoir des bonus de recharge lorsque c'est fait en ligne.

"Mais il reste effectivement un pourcentage de clients totalement anonymes, et c'est ceux-là que l'Etat désire connaître".


Un grave évènement

Il aura fallu, comme c'est souvent le cas, un évènement très grave pour que la législation change. Les récents attentats de Bruxelles, en mars 2016, ont déclenché une prise de conscience collective de la nécessité d'enfin pouvoir lier une identité à un numéro de téléphone.

Car sans surprise, pour se coordonner et pour communiquer avant et pendant les attentats, les terroristes changent souvent de carte prépayée (anonyme), et donc de numéro de téléphone.

Rendant leur mise sur écoute très difficile, voire impossible, par les services de renseignements.


La fin de l'anonymat enfin annoncée mais...

Le 13 mai dernier, le gouvernement a enfin passé la seconde, annonçant la "fin de l'anonymat des cartes SIM prépayées". Les choses ont vite bougé ces dernières semaines, mais le processus pour inscrire ce genre de règles dans la législation des opérateurs télécoms est long.

En réalité, il a débuté... avant les attentats de Bruxelles. Une consultation publique a été organisée du 7 au 14 décembre 2015 sur un avant-projet de loi modifiant l'article 127 de la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques.

A cette époque, les cartes prépayées avaient été exclues du processus d'identification des utilisateurs, "pour favoriser la pénétration de la téléphonie mobile" (pour des raisons économiques, donc).


... les premières demandes datent de 1999

Autre constat étonnant: "la suppression de l’anonymat pour les cartes prépayées est une revendication déjà ancienne des autorités judiciaires (1999)", car elles sont "très répandues dans les milieux criminelles", peut-on lire dans cet avant-projet de loi.

Cela fait donc très, très longtemps qu'on connait le danger potentiel de ces cartes. Il est regrettable qu'il ait fallu attendre les drames de Paris et de Bruxelles pour concrétiser la fin de leur anonymat...

Quoi qu'il en soit, les choses s'accélèrent. "Le projet de loi et le projet d'arrêté royal (...) vont à présent être soumis à l’avis du Conseil d’État et de la Commission pour la Protection de la Vie privée, avant d’être inscrit à l’ordre du jour du Comité de concertation. La nouvelle réglementation devrait entrer en vigueur cet automne après avoir été avalisée par le Parlement", peut-on lire dans un communiqué du cabinet d'Alexandre De Croo, ministre fédéral des télécoms.

"Une fois que les détails seront connus, on aura 6 mois pour se mettre en conformité", nous a précisé de son côté Proximus. Il faudra donc attendre 2017 avant que les cartes SIM prépayées en activité en Belgique soient liées à une identité.


Concrètement, comment va-t-on identifier les cartes prépayées ?

La procédure est simple dans l'idée. La nouvelle réglementation obligera les opérateurs à appliquer le même principe d'identification des cartes SIM liées à un abonnement, à celles prépayées et qui peuvent être rechargées de manière anonyme.

Lorsqu'une carte prépayée sera achetée dans un magasin, la carte d'identité sera scannée et les données seront transmises à l'opérateur, ou si nécessaire, le commerçant fera une copie de la carte et les données seront également communiquées à l'opérateur.

En cas d'achat en ligne, l'identification se fera via la carte d'identité électronique (il faudra dès lors disposer d'un lecteur de carte), la signature électronique (liée à une carte d'identité), un service de contact certifié ou une transaction de paiement électronique.

Enfin, tous ceux qui utilisent déjà des cartes prépayées auront 6 mois pour s'identifier, de la même manière que ceux qui achètent une nouvelle carte prépayée.

Quant aux modalités de conservation des données de connexions, elles sont similaires à celles prévues depuis 2005 pour l'ensemble des "communications électroniques". La plus importante de ces modalités, c'est que les opérateurs doivent conserver ces données durant un an.


Orange prend les devants, des procédures compliquées en vue

Une procédure simple dans l'idée, on l'a dit, mais complexe dans la mise en œuvre. Comment être certain qu'un petit night-shop bruxellois soit en mesure de scanner une carte d'identité et de l'envoyer correctement à l'opérateur ? Le contrôle d'identité est encadré par la loi, n'importe qui ne peut pas se permettre de vérifier si la carte d'identité fournie est la bonne...

Dans ce contexte délicat, Orange (le nouveau nom de Mobistar), a décidé de prendre les devants. "A partir de fin juin, une identification sera nécessaire pour acheter une carte SIM prépayée dans les magasins Orange faisant partie du réseau de distribution", nous a confirmé Jean-Pascal Bouillon, porte-parole.

Il s'agira plutôt d'un laboratoire pour expérimenter les procédures. Car comme le rappelle Orange, "il y a de très nombreux points de vente (night-shop, magasins, etc) où l'on peut se procurer des cartes prépayées, et on ne peut pas les obliger à exiger l'identification des clients".

Dans tous ces points de vente, donc, la mise en place d'un contrôle d'identité sera pour le moins délicate. Selon certains observateurs, c'est toute l'organisation de la distribution qui est à revoir.

Et si les nouvelles cartes SIM prépayées (pas les recharges) devenaient exclusivement disponibles dans les boutiques officielles des opérateurs, ou pourquoi pas dans les bureaux de bpost, les administrations communales, etc ? Cela représenterait un manque à gagner pour les opérateurs, mais cela simplifiera la procédure.

Du côté de Proximus, on confirme qu'il "faudra analyser les procédures et le système de distribution", et que cela se fera "lorsque les opérateurs auront reçu tous les détails" des autorités. Tout cela "ne se fera pas du jour au lendemain".


Cela concerne combien de personnes ?

Fin 2013, les cartes prépayées représentaient 40% des cartes SIM en circulation en Belgique, selon des chiffres de la GSMA, l'association mondiale des opérateurs mobiles.

Des chiffres qui ont changé dernièrement, suite à la chute des tarifs des abonnements. C'est ce qu'on peut comprendre des statistiques que Base a bien voulu nous fournir. Chez Base, les cartes prépayées représentent au moins un tiers des numéros Base, auquel il faut rajouter celles des opérateurs virtuels qui "louent" le réseau de Base.

"Au total, le réseau Base héberge aujourd’hui un peu plus de 3 millions de clients. Parmi ces 3 millions de clients, 1 million sont des abonnés (clients postpaid), 1 million sont des utilisateurs de cartes prépayées (prepaid), et 1 million sont des clients de nos partenaires et des opérateurs virtuels que nous hébergeons (Mobile Vikings, Jim Mobile, Allo RTL, Ortel,...)", nous a précisé François Bailly, porte-parole de Base Company.

Du côté d'Orange, les cartes postpaid sont encore moins nombreuses. "Nous avons 3 millions de clients mobiles, dont 800.000 cartes prépayées, soit moins d'un tiers", selon Jean-Pascal Bouillon.


80 pays obligent l'identification à l'achat d'une carte prépayée, mais c'est bientôt inutile...

Selon ce même rapport de la GSMA, en 2013, 80 pays obligeaient leurs citoyens à s'identifier à l'achat d'une carte prépayée ou envisageaient de le faire. La France, les Pays-Bas et l'Allemagne obligent par exemple les consommateurs à livrer leur identité lors de l'achat d'une carte prépayée. Ce qui n'a pas empêché les attentats de se commettre...

Enfin, sachez qu'au Luxembourg, le Premier ministre Xavier Bettel a annoncé, en 2015, le retrait de la vente des cartes prépayées.       

Hélas, toutes ces initiatives nationales seront inutiles dans un an. En effet, en juin 2017, les opérateurs des pays de l'Union européenne ne pourront plus faire payer de frais de roaming. Téléphoner en Belgique avec une carte SIM prépayée italienne ne coutera donc pas plus cher que de téléphoner en Italie...

Vous l'avez compris, il faut donc impérativement une législation européenne pour que la fin de l'anonymat soit effective.

Nous avons sollicité le cabinet d'Alexander De Croo pour une réaction à ce sujet à plusieurs reprises, mais nous n'avons jamais obtenu de réponse. 


Les cartes de crédit prépayées, même combat...

Un anonymat qui est également financier pour les terroristes: Salah Abdeslam a utilisé pendant plusieurs mois avant son arrestation une carte de crédit prépayée anonyme de bpost pour se déplacer dans toute l'Europe.

C'est Philippe de Koster, le directeur de la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF) du blanchiment d'argent, qui l'a déclaré devant la Chambre, le 13 mai dernier. Il estime que ces cartes "permettent le financement du terrorisme", et sont au moins aussi dangereuses que les cartes SIM prépayées.

"Ces cartes sont l'instrument préféré des terroristes", dit-il, déplorant la politique commerciale de bpost, qui cherche à promouvoir ces cartes anonymes alors qu'elles représentent à ses yeux un danger.

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